Les 482 nouvelles poésies d'auteurs.



Nous sommes une nation de poètes, ma fille, et aucune force au monde n’a jusqu’ici jamais vaincu la poésie. Dans la balance de l’histoire, l’artiste pèse plus que le politicien.

[ Andrée Ferretti] Roman non-autorisé. Hexagone 2011

Composer une nouvelle anthologie de la poésie française pour offrir pour les plus jeunes, à l'âge des premières découvertes littéraires, un bref aperçu du somptueux domaine qui les attend ; pour les autres, un discret rappel des poésies immortelles qui les ont enchantés.
La poésie française est ici représentée par « ces vers qui chantent dans la tête alors que la mémoire est absente » [ Verlaine ]


Nouveaux poèmes ou vers déjà connus ?



Un peu de poésie dans votre vie... Vous souvenez-vous de quelques vers des poèmes encore aujourd'hui ? Pouvez-vous réciter par coeur la morale de la fable Le Corbeau et le Renard ? Sonnet à Marie, de Ronsard, Mon rêve familier, de Verlaine, La Courbe de tes yeux, de Paul Eluard, Je t'adore, de Baudelaire : quel est votre poème préféré ? Peut-être allez vous re-découvrir dans cette sélection de nouveaux poèmes celui que vous connaissiez par coeur enfant ?

Page 4 sur un total de 33 pages.

Nous nous étalons de Alphonse Allais

Nous nous étalons
Sur des étalons.
Et nous percherons
Sur des percherons !

C'est nous qui bâtons,
A coup de bâtons,
L'âne des Gottons
Que nous dégottons !...
Mais nous l'estimons
Mieux dans les timons.
Nous nous marions
A vous Marions
Riches en jambons.
Nous vous enjambons
Et nous vous chaussons,
Catins, tels chaussons !
Oh ! plutôt nichons
Chez nous des nichons !
Vite polissons
Les doux polissons !
Pompons les pompons
Et les repompons ! (...)
Du vieux Pô tirons
Quelques potirons !
Aux doux veaux rognons
Leurs tendres rognons,
Qu'alors nous oignons
Du jus des oignons ! (...)
Ah ! thésaurisons !
Vers tes horizons
Alaska, filons !
A nous tes filons !
Pour manger, visons
Au front des visons,
Pour boire, lichons
L'âpre eau des lichons.
Ce que nous savons
C'est grâce aux savons
Que nous décochons
Au gras des cochons.
Oh ! mon chat, virons,
Car nous chavirons !



Le châtiment de la cuisson appliqué aux imposteurs de Alphonse Allais

Chaque fois que les gens découvrent son mensonge,
Le châtiment lui vient, par la colère accru.
" Je suis cuit, je suis cuit ! " gémit-il comme en songe.

Le menteur n'est jamais cru.



Complainte amoureuse de Alphonse Allais

Oui dès l'instant que je vous vis

Beauté féroce, vous me plûtes
De l'amour qu'en vos yeux je pris
Sur-le-champ vous vous aperçûtes
Ah ! Fallait-il que je vous visse
Fallait-il que vous me plussiez
Qu'ingénument je vous le disse
Qu'avec orgueil vous vous tussiez
Fallait-il que je vous aimasse
Que vous me désespérassiez
Et qu'enfin je m'opiniâtrasse
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m'assassinassiez

 



Fin de Lucie Delarue-Mardrus

    J'ai porté ton amour au cœur comme un couteau,
    Il ne m'a pas laissé même de cicatrice.
    La solitude en moi revient, dominatrice :
    Peut-être t'ai-je aimée ou trop tard ou trop tôt.

     

    Maintenant l'amitié, plus triste que la haine,
    Sans doute pour toujours nous unit sans frisson.
    Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon,
    Et je te tiens la main sans plaisir et sans peine.

     

    Mon désir s'était pris aux fils de tes cheveux.
    Mais ta proie est perdue, et plus rien ne t'en reste
    Qu'une âme sans élan dans une chair sans geste.
    L'amour est mort : demeure... Ou va t'en si tu veux.
 



Sanglot de Lucie Delarue-Mardrus

Le souvenir dansant de toutes tes aimées
Rode en silence auprès de mon cœur plein d'effroi.
Malgré la nuit de joie et ses portes fermées,
Je ne suis pas seule avec toi.

Doucement prise au pli sublime des étoffes,
Ma sombre passion gémit dans tes genoux ;
Mais, au rythme muet de nos charnelles strophes,
Gomorrhe brûle autour de nous !...

Je ne pleurerai pas le remords des damnées.
Je pleurerai de voir, trésor irrespecté,
Dans tes mains sans ferveur et sans virginité
Toutes mes richesses données.



Fugue de Lucie Delarue-Mardrus

Ton âme d'eau fuyante et mon âme de soif
S'uniront-elles ?...
Au coeur de nos fêtes charnelles,
Que ne puis-je te prendre et boire en un baiser ?

Mon corps sur ton corps est posé,
Je me penche...
Ton âme d'eau fuyante et mon âme de soir,
Où trouver le baiser double qui les étanche ?

Que ne puis-je te prendre et boire en un baiser ?
Comment nous joindre,
Si, telle qu'une source agile tu t'enfuis
Dès que tu vois mon âme poindre ?

Eau claire, ah ! je voudrais te boire ! Ah ! je ne puis !...
- Au coeur de nos fêtes charnelles,
Ton âme d'eau fuyante et mon âme de soif
S'uniront-elles ?...



Furieusement de Lucie Delarue-Mardrus

Je veux te prendre, toi que je tiens haletante
Contre mes seins, les yeux de noirs de consentement ;
Je veux te posséder comme un amant,
Je veux te prendre jusqu'au cœur !...Je veux te prendre !...

Ah ! rouler ma nudité sur ta nudité,
Te fixer, te dévorer les yeux jusqu'à l'âme,
Te vouloir, te vouloir !... Et n'être qu'une femme
Sur le bord défendu de la félicité !...

Et m'assouvir d'une possession ingrate
Qui voudrait te combler, t'atteindre, t'éventrer,
Et qui n'est rien qu'un geste vain d'ongle fardé
Fouillant de loin ta chair profonde et délicate !...



Si tu viens de Lucie Delarue-Mardrus

Si tu viens, je prendrai tes lèvres dès la porte,
Nous irons sans parler dans l'ombre et les coussins,
Je t'y ferai tomber, longue comme une morte,
Et, passionnément, je chercherai tes seins.

A travers ton bouquet de corsage, ma bouche
Prendra leur pointe nue et rose entre deux fleurs,
Et t'écoutant gémir du baiser qui les touche,
Je te désirerai, jusqu'aux pleurs, jusqu'aux pleurs !

- Or, les lèvres au sein, je veux que ma main droite
Fasse vibrer ton corps - instrument sans défaut -
Que tout l'art de l'Amour inspiré de Sapho
Exalte cette chair sensible intime et moite.

Mais quand le difficile et terrible plaisir
Te cambrera, livrée, éperdument ouverte,
Puissé-je retenir l'élan fou du désir
Qui crispera mes doigts contre ton col inerte !



Baiser de Lucie Delarue-Mardrus

Renverse-toi que je prenne ta bouche,
Calice ouvert, rouge possession,
Et que ma langue où vit ma passion
Entre tes dents s'insinue et te touche :

C'est une humide et molle profondeur,
Douce à mourir, où je me perds et glisse ;
C'est un abîme intime, clos et lisse,
Où mon désir s'enfonce jusqu'au coeur...

- Ah ! puisse aussi t'atteindre au plus sensible,
Dans son ampleur et son savant détail,
Ce lent baiser, seule étreinte possible,
Fait de silence et de tiède corail ;

Puissé-je voir enfin tomber ta tête
Vaincue, à bout de sensualité,
Et détournant mes lèvres, te quitter,
Laissant au moins ta bouche satisfaite !...



Le méchant chat de Paris de Lucie Delarue-Mardrus

C’est un méchant chat de Paris
Toute viande est pour lui souris.
Il prend dans les assiettes
Ne laissant que les miettes,
Et dit: C’est à moi, je l’ai pris!
Oh! Le méchant chat de Paris!


Petite souris de Lucie Delarue-Mardrus

C’est la petite souris grise,
Dans sa cachette elle est assise.
Quand elle n’est pas dans son trou,
C’est qu’elle galope partout.

C’est la petite souris blanche
Qui ronge le pain sur la planche.
Aussitôt qu’elle entend du bruit,
Dans sa maison elle s’enfuit.

C’est la petite souris brune
Qui se promène au clair de lune,
Si le chat miaule en dormant,
Elle se sauve prestement.

C’est la petite souris rouge,
Elle a peur aussitôt qu’on bouge !
Mais, lorsque personne n’est là,
Elle mange tout ce qu’on a.


L'odeur de mon pays de Lucie Delarue-Mardrus

L'odeur de mon pays était dans une pomme.
Je l'ai mordue avec les yeux fermés du somme,
Pour me croire debout dans un herbage vert.
L'herbe haute sentait le soleil et la mer,
L'ombre des peupliers y allongeait des raies,
Et j'entendais le bruit des oiseaux, plein les haies,
Se mêler au retour des vagues de midi.
Combien de fois, aussi, l'automne rousse et verte
Me vit-elle, au milieu du soleil et, debout,
Manger, les yeux fermés, la pomme rebondie !...
De tes prés, copieuse et forte Normandie !...
Ah ! je ne guérirai jamais de mon pays !
N'est-il pas la douceur des feuillages cueillis
Dans leur fraîcheur, la paix et toute l'innocence !

Et qui donc a jamais guéri de son enfance ?...


Roman de Arthur Rimbaud

On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants!
On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière.
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche ...

Nuit de juin! Dix-sept ans! - On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite, là, comme une petite bête...

Le coeur fou robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire!...

Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
- On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.


Première soirée de Arthur Rimbaud

- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.


Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins


- Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, - mouche ou rosier


- Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal


Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : Veux-tu en finir !
- La première audace permise,
Le rire feignait de punir !


- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : Oh ! c'est encor mieux !...


Monsieur, j'ai deux mots à te dire...
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien.....


- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.


Mon rêve familier de Paul Verlaine

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.


Page 4 sur un total de 33 pages.



La poésie, comme Dieu, comme l'amour, n'est que foi.

[ Juan Ramon Jimenez ] - Le courant infini