Les 482 nouvelles poésies d'auteurs.
Nous sommes une nation de poètes, ma fille, et aucune force au monde n’a jusqu’ici jamais vaincu la poésie. Dans la balance de l’histoire, l’artiste pèse plus que le politicien.
[ Andrée Ferretti] Roman non-autorisé. Hexagone 2011
Composer une nouvelle anthologie de la poésie française pour offrir pour les plus jeunes, à l'âge des premières découvertes littéraires, un bref aperçu du somptueux domaine qui les attend ; pour les autres, un discret rappel des poésies immortelles qui les ont enchantés.
La poésie française est ici représentée par « ces vers qui chantent dans la tête alors que la mémoire est absente » [ Verlaine ]
Nouveaux poèmes ou vers déjà connus ?
Un peu de poésie dans votre vie... Vous souvenez-vous de quelques vers des poèmes encore aujourd'hui ? Pouvez-vous réciter par coeur la morale de la fable Le Corbeau et le Renard ? Sonnet à Marie, de Ronsard, Mon rêve familier, de Verlaine, La Courbe de tes yeux, de Paul Eluard, Je t'adore, de Baudelaire : quel est votre poème préféré ? Peut-être allez vous re-découvrir dans cette sélection de nouveaux poèmes celui que vous connaissiez par coeur enfant ?
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Poème de l'amour de Anna de Noailles
Si même la pudeur des angesHabitait le coeur féminin,
Je t'aurais dit ces mots étranges,
Mêlés d'arôme et de venin,
Par quoi la nature impudente
Vient au secours de l'âme ardente...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Je ne veux pas souffrir du doute,Ni que tu m'épargnes, ni même
Que, concevant combien je t'aime,
Tu m'accompagnes sur ma route.
Quels efforts pourraient comprimer
Ton ennui, ton désir, tes voeux ?
Si quelqu'un te plaît, va l'aimer !
Aborde ces yeux, ces cheveux,
Dévaste ce nouveau visage,
Goûte ce coeur riant ou sage,
Cours vers ton allègre espérance !
Tu connaîtras la différence
De la feinte et de la paresse
D'avec mon incessante ivresse !
- Un jour j'aurai ta préférence.
Il n'est pour moi d'autre rivale
Qu'une ardeur à la mienne égale !
Qu'importe à mon coeur qui t'imprègne
De sa tendre et secrète rage
Qu'une femme que je dédaigne
Puisse te plaire davantage !
Poème de l'amour de Anna de Noailles
L’amour, vorace et triste, en son humble folie,Exige le serment qui rapproche et qui lie
La mort avec la volupté;
Une voix dit « toujours » et l'autre répond « oui »,
Car l’éphémère ardeur veut un luxe inouï
D’avenir et d'éternité...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Je ne reconnais pas ta personne présenteTant mon rêve dut en souffrir;
Ton visage est soudain, sous mes yeux qu'il enchante,
Étrange et long à parcourir;
L'être que l'on contemple et celui qu'on médite
N'ont pas de semblables pouvoirs;
L'éloignement restreint, estompe, efface, hésite.
- Il est douloureux de te voir !
Je ne puis ignorer, naïf porteur de grâces,
Les fines flèches sans détour
Qui, d'un trajet brillant, viennent frapper toujours
Mon esprit à la même place !
Je te regarde, et c'est par ton précis éclat
Que je sens la faible puissance
De ne te résumer que quand tu n'es plus là,
Et de ne posséder vraiment que ton absence !
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Je me taisais, j'avais fait voeuDe ne te jamais reprocher
Ton esprit net, sobre, empêché
De tout élan, de tout aveu;
Mais ce soir où le ciel d'automne
Effeuille un soleil languissant,
Laisse que ma voix s'abandonne
À trahir les secrets du sang:
- Entends-tu, cher coeur sans tendresse,
Chère âme insensible et têtue,
En ce jour où je te confesse
Ma native et fière tristesse,
Combien de fois je me suis tue ?
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Si tu rencontrais par momentDes yeux qui sans désir inspectent
Ce qui m'émeut craintivement,
- Ton être sombre et véhément,
Ta belle voix vague et directe,
Ton beau regard sûr et dément -
Dis-le-moi, pour je connaisse
Ces yeux qui te voient sans amour,
Et qui sauront peut-être un jour
Me consoler de ma tristesse !...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Mon esprit, séduit et plaintif,A longtemps tâché de connaître
Ce qui me touche dans ton être,
- C'est ton beau regard attentif.
Ce noble état d'intelligence,
Ce coeur logique et curieux,
Font rêver, par tes sombres yeux,
Ma pétulante nonchalance.
- Et pourtant, ne sois pas surpris
Si cette qualité pensive
N'enveloppe pas mon esprit.
Je ne peux pas être attentive,
Parce que j'ai déjà compris !...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
J'ai perdu l'univers puisque tu me suffis,Je vois qu'il appartient aux autres; quelquefois
Je songe à la grandeur que l'espace eut en moi,
Mais j'ai quitté l'azur à cause que tu vis.
Je regarde et j'entends les secrets mouvements
De l'infini, des sons, des parfums, des couleurs;
Mais l'air, l'arbre, les monts ne sont qu'un vêtement
Que j'écarte des doigts comme une humble vapeur,
Pour que tu restes seul parmi les éléments
À vivre dans la vie ainsi que dans mon coeur...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Je n'aime pas que tu me plaises,Que ton image permanente
Me tente, me trouble, me hante
Ah! connaître encor d'autres aises
Échapper, adroite hirondelle,
À ton enjôleuse faiblesse !
C'est par ta grâce qui me blesse
Que je pourrais t'être infidèle...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Quand je t'ai raconté l'histoireDe mon amour grave, inquiet,
J'ai pensé que je t'effrayais,
J'ai cru que tu n'y pourrais croire.
Mais sans honte, sans peur, sans gloire,
Tu m'as dit que tu me croyais.
- Tu m'as dit ces mots nécessaires,
D'une voix sûre, et doucement;
Quel autre cadeau peux-tu faire
À ce coeur qui jamais ne nient
Que de constater simplement
Mon immense dépouillement ?...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Tu m'enchantes, je te supporte;Songe combien ce mot est doux !
J'abdique quand je deviens nous,
J'accepte d'être cette morte;
Ton charme, moins doux que tes torts,
A dispersé ma solitude;
C'est te préférer à mon sort,
À ma vie, à son amplitude,
Que de constater sans remords.
Ce suave et secret accord
Par qui tout l'univers s'élude...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Ne souffre pas; tu vois, je suis pourtant moi-même,Malgré les multiples aspects.
Tu cherchais le repos ? Peut-être que tu m'aimes
Pour cette absence de ta paix !
Concevais-tu vraiment que le bonheur existe ?
Que l'on donne un ordre au destin ?
N'avais-tu donc jamais, d'un oeil lucide et triste,
Vu le lent retour des matins ?
Dans l'immense ouragan où combattent les choses,
Poursuivais-tu d'autres loisirs
Que ces instants secrets où le désir compose
Un baume d'âme et de plaisir ?
- L'amour n'est pas un don qui rend plaisante et stable,
La vie aux sursauts coutumiers;
Il fait mieux mesurer l'immensité des sables,
Le puits distant sous les palmiers !
Les travaux des humains, comme ceux des abeilles,
Vaquent aux soins de la cité,
Mais tout l'effort profond ne rêve et ne conseille
Que l'apaisante volupté;
C'est elle la chétive et complète patrie
Dont l'être est sans cesse exilé;
Acceptons que le sort protège et contrarie
Un voeu toujours renouvelé !
Acceptons que demain, comme aujourd'hui, demeure
Un jour d'espoir et de chagrin;
Il est beau de goûter le plaisir souverain
Dans l'étroit calice d'une heure !
Je refuse de croire à des jours aplanis
Où pour nous deux l'injuste chance
Arrêterait soudain, dans le temps infini,
L'oscillement de ses balances.
Certes j'eusse voulu charger d'un gai bonheur
Ma méditative caresse,
Mais peut-être ai-je mieux apparenté nos coeurs
Si je t'ai donné la tristesse...
Poème de l'amour de Anna de Noailles
J’ai, dès l'enfance, avec un oeil audacieux,Logé mon âme dans la nue;
Le sol brillant m'était moins proche que les cieux
Où jubilait ma bienvenue.
Je croyais au vivace et radieux retour
De ma tendresse dépensée:
Confiance, désir, bondissements, pensée,
Vous heurtiez un distrait séjour !
Lentement, en souffrant, je prenais l'habitude
Que désormais fût démêlé
Cet univers secret d'avec mon amplitude;
J’aimais mon royaume isolé.
- Amour, pourquoi crois-tu pouvoir nie consoler
Des obstacles que rien n'élude ?
Toi dont l'ardeur, autant que l'espace étoilé,
Contribue à ma solitude !
Poème de l'amour de Anna de Noailles
C’est d'une adresse humble et savanteDe t'avoir aimé de la sorte,
Car, par mon coeur qui se transporte
En ta force heureuse et mouvante,
Je ne vis plus d'être vivante,
Et ne mourrai pas d'être morte !
Poème de l'amour de Anna de Noailles
Tu ne peux rien pour moi, puisque je t'aime,Un tel amour rend l'autre démuni.
Garde ta force et ta tendresse même,
Sache être pauvre auprès de l'infini.
Je vois souvent ta peine sérieuse
Et la bonté de tes beaux yeux pensants,
Mais que me fait ton coeur reconnaissant ?
La gratitude est plus mystérieuse !
Elle est en moi à cause que tu es,
Non point toi seul, mais divers, ample, étrange;
Reste indolent, oublieux, imparfait,
Je porte en moi le soleil qui te change...
Page 21 sur un total de 33 pages.
La poésie, comme Dieu, comme l'amour, n'est que foi.
[ Juan Ramon Jimenez ] - Le courant infini
