Poème de Pierre Lecomte


ANTHOLIGIE DU SILENCE de Pierre Lecomte

Nos pas sous l'aube frêle

pas à pas alourdis ...

Le petit jour sera pesant

comme un rêve aboli :

 

C'était un jour limpide ...

Mais combien étions nous ?

 

C'était un jour limpide :

Nous étions coulis d'orge

de buée

de blé

d'or ...

Nous étions sève et seigle

nous étions la rosée

le vent dans les tiges et le geste

l'élan sur l'horizon ...

 

Mais combien étions nous ?

 

Nous étions l'épine et l'épi

la nacelle et l'arène

le nid

Nous étions la fertilité

les vendanges et l'orgie

l'essaim des anges ...

Nous étions la vigie

le désert et la vigne ...

 

... Mais combien étions nous ?

 

Combien ce matin-là

debout

sur cette plage

empalanqués

dans la petite embarcation

avec la peur au ventre

et sur le sein

une morsure saline ...

 

... Le mascaret des chiens colonialistes

rugissait sur nos pas ...

 

C'était un jour limpide :

Le petit matin dispersait la brume

balayant l'eau pétrole .

Une cendre légère

recouvrait nos paupières ...

Soumis à l'ordre des choses

nous reprenions les sentiers de l'exil

à la force des rêves

le sang de nos morts collé sous nos ongles

et une terre brûlée

dans la mémoire ...

 

... Mais combien étions nous ce matin-là

immobiles

contaminés

dérobés au cheminement des pleurs

avec des souvenirs

                             à fleur de sang

dans cette caravane écorchée d'ombre;

Combien 

à franchir la première vague ?

Combien dans la fureur des eaux

cette nuit-là

                  perdus en mer ?

Combien étions nous

morts

à pleine gorge ?

 

ENVOI :

La faim crache à la porte

la chair 

devient étroite :

 

On nous avait dit une terre ivre

jonchée belle

de soleils safres et de fleurs

on nous avait dit des voluptés

d'herbes folles

des équinoxes parsemés d'or

on nous avait dit des chemins désenchaînés

 

ON NOUS AVAIT DIT LIBERTE !

 

Mais le crime assouvi

et le devoir accompli

ils ont

d'un geste sourd

refermé sur nous

portes et verrous !

 

Un dernier cri poussé

à contretemps

pour ne plus souffrir

Un dernier chant paîen

même indécent

pour chorégraphier nos blessures

nos cicatrices hurleuses ...

 

... encore une prière ...

 

Quelle était la couleur de nos yeux

de nos larmes ... ?

Jusqu'où faudra-t-il s'incliner ?

 

Le temps suture les souvenirs

qui se dérobent au corps

et nos ombres escortent nos morts !

La fièvre à condamné leur sort

et cette agonie

superbe

en drapé de pluie

                          s'égoutte

au souffle d'une identité cutanée

qui s'enfante

elle-même

jusqu'à l'érosion des antiques traces

sobrement féeriques

des premières civilisations

éradiquées

jusqu'au dernier sang

sous le fard fardé bleu

des Nécropoles .