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13 poèmes
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Mes souhaits de bonne année de Agénor Altaroche
Encore un premier jour de l'an
Que le temps nous apporte !
Cette date donne l'élan
Aux vœux de toute sorte.
Puissiez-vous, gais et bien portants,
Quand reviendra la fête,
En faire encore après cent ans...
Oui, je vous le souhaite !
Ménages où l'on voit lié
Le printemps et l'automne,
Vieux maris, près de vos moitiés
Que jeunesse aiguillonne,
A bon droit, vous en attendez
Fidélité parfaite,
Pur amour, serments bien gardés...
Oui, je vous en souhaite !
Que de badauds ambitieux,
Pour s'enrichir plus vite,
Chez nous plongent à qui mieux mieux
En pleine commandite !
Toute action pour spéculer
Leur est de bonne emplette ;
Les dividendes vont grêler...
Oui, je leur en souhaite !
La liberté devra beaucoup
A la nouvelle Chambre.
On va te limer sur son cou
Vil carcan de septembre !
Source de salutaires lois,
La Réforme complète
Même au génie offre des droits...
Oui, je vous en souhaite !
Nos diplomates couards et mous,
Que partout on brocarde,
Au lieu de se mettre à genou,
Sauront se mettre en garde.
Le coq du peuple souverain
Redressera sa crête,
Le long des frontières du Rhin...
Oui, je le lui souhaite !
On promet des amendements
A nos taxes trop dures ;
On sape les gros traitements,
Les grasses sinécures.
L'Amérique sur nos écus
N'enverra plus de traite ;
Les princes ne quêteront plus...
Oui, je vous en souhaite !
Notre théâtre n'est plus veuf
Veuf de la tragédie.
Il en naît une à l'esprit neuf,
A la sphère agrandie.
Dumas de sa mémoire l'eût,
C'est Ida qui l'allaite,
Et l'art en attend son salut...
Oui, je le lui souhaite !
Qui trop embrasse mal étreint,
Nous dit un vieil adage,
Je vais d'un souhait plus restreint
Français, vous faire hommage.
Par les complots qu'on voit pleuvoir,
Puisse dans sa couchette
Chacun de vous dormir ce soir...
Oui, je vous le souhaite !
Bohémiens en voyage de Charles Baudelaire
La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.
Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.
Le Renard et la Cigogne de Jean de La Fontaine
Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galand, pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
" Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. "
A l'heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.
Les deux Mulets de Jean de La Fontaine
Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d'un pas relevé,
Et faisait sonner sa sonnette :
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,
Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein et l'arrête.
Le mulet, en se défendant,
Se sent percer de coups ; il gémit, il soupire.
" Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis ?
Ce mulet qui me suit du danger se retire ;
Et moi j'y tombe, et je péris !
- Ami, lui dit son camarade,
Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi :
Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade. "
Le Loup et le Chien de Jean de La Fontaine
Un loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sir loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
" Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré ; point de franche lippée ;
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le loup reprit : " Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du chien pelé.
" Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.
L'isolement de Alphonse de Lamartine
Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon,
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs,
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports,
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante :
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m'attend. »
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.
Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts ;
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire,
Je ne demande rien à l'immense univers.
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !
Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne puis-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi !
Sur la terre d'exil pourquoi restè-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
Namouna - Chant deuxième de Alfred de Musset
Qu'est-ce que l'amour ?
L'échange de deux fantaisies
Et le contact de deux épidermes
Chamfort
I
Eh bien ! en vérité, les sots auront beau dire,
Quand on n'a pas d'argent, c'est amusant d'écrire.
Si c'est un passe-temps pour se désennuyer,
Il vaut bien la bouillotte ; et, si c'est un métier,
Peut-être qu'après tout ce n'en est pas un pire
Que fille entretenue, avocat ou portier
II
J'aime surtout les vers, cette langue immortelle.
C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas
Mais je l'aime à la rage. Elle a cela pour elle
Que les sots d'aucun temps n'en ont pu faire cas,
Qu'elle nous vient de Dieu, — qu'elle est limpide et belle,
Que le monde l'entend, et ne la parle pas.
III
Eh bien ! Sachez-le donc, vous qui voulez sans cesse
Mettre votre scalpel dans un couteau de bois
Vous qui cherchez l'auteur à de certains endroits,
Comme un amant heureux cherche, dans son ivresse
Sur un billet d'amour les pleurs de sa maîtresse,
Et rêve, en le lisant, au doux son de sa voix.
IV
Sachez-le, — c'est le cœur qui parle et qui soupire
Lorsque la main écrit, — c'est le cœur qui se fond ;
C'est le cœur qui s'étend, se découvre et respire
Comme un gai pèlerin sur le sommet d'un mont
Et puissiez-vous trouver, quand vous en voudrez rire
À dépecer nos vers le plaisir qu'ils nous font !
V
Qu'importe leur valeur ? La muse est toujours belle,
Même pour l'insensé, même pour l'impuissant ;
Car sa beauté pour nous, c'est notre amour pour elle.
Mordez et croassez, corbeaux, battez de l'aile ;
Le poète est au ciel, et lorsqu'en vous poussant
Il vous y fait monter, c'est qu'il en redescend
VI
Allez, — exercez-vous, — débrouillez la quenouille,
Essoufflez-vous à faire un bœuf d'une grenouille
Avant de lire un livre, et de dire : J'y crois !
Analysez la plaie, et fourrez-y les doigts ;
Il faudra de tout temps que l'incrédule y fouille,
Pour savoir si son Christ est monté sur la croix
VII
Eh, depuis quand un livre est-il donc autre chose
Que le rêve d'un jour qu'on raconte un instant ;
Un Oiseau qui gazouille et s'envole ; — une rose
Qu'on respire et qu'on jette, et qui meurt en tombant ; —
Un ami qu'on aborde, avec lequel on cause,
Moitié lui répondant, et moitié l'écoutant ?
VIII
Aujourd'hui' par exemple, il plait à ma cervelle
De rimer en sixains le conte que voici,
Va-t-on le maltraiter et lui chercher querelle ?
Est-ce sa faute, à lui, si je l'écris ainsi ?
Byron, me direz-vous, m'a servi de modèle.
Vous ne savez donc pas qu'il imitait Pulci ?
IX
Lisez les Italiens, vous verrez s'il les vole.
Rien n'appartient à rien, tout appartient à tous.
Il faut être ignorant comme un maître d'école
Pour se flatter de dire une seule parole
Que personne ici-bas n'ait pu dire avant vous.
C'est imiter quelqu'un que de planter des choux.
X
Ah ! pauvre Laforêt, qui ne savais pas lire,
Quels vigoureux soufflets ton nom seul a donnés
Au peuple travailleur des discuteurs damnés !
Molière t'écoutait lorsqu'il venait d'écrire
Quel mépris des humains dans le simple et gros rire
Dont tu lui baptisais ses hardis nouveau-nés !
XI
Il ne te lisait pas, dit-on, les vers d'Alceste ;
Si je les avais faits, je te les aurais lus.
L'esprit et les bons mots auraient été perdus ;
Mais les meilleurs accords de l'instrument céleste
Seraient allés au cœur comme ils en sont venus.
J'aurais dit aux bavards du siècle : A vous le reste
XII
Pourquoi donc les amants veillent-ils nuit et jour ?
Pourquoi donc le poète aime-t-il sa souffrance ?
Que demandent-ils donc tous les deux en retour ?
Une larme, ô mon Dieu, voilà leur récompense ;
Voilà pour eux le ciel ; la gloire et l'éloquence,
Et par là le génie est semblable à l'amour.
XIII
Mon premier chant est fait. — Je viens de le relire.
J'ai bien mal expliqué ce que je voulais dire ;
Je n'ai pas dit un mot de ce que j'aurais dit
Si j'avais fait un plan une heure avant d'écrire ;
Je crève de dégoût, de rage et de dépit
Je crois en vérité que j'ai fait de l'esprit
XIV
Deux sortes de roués existent sur la terre :
L'an, beau comme Satan, froid comme la vipère,
Hautain, audacieux, plein d'imitation,
Ne laissant palpiter sur son cœur solitaire
Que l'écorce d'un homme et de la passion ;
Faisant un manteau d'or à son ambition ;
XV
Corrompant sans plaisir, amoureux de lui-même,
Et, pour s'aimer toujours, voulant toujours qu'on l'aime ;
Regardant au soleil son ombre se mouvoir ;
Dès qu'une source est pure, et que l'on peut s'y voir,
Venant comme Narcisse y pencher son front blême,
Et chercher la douleur pour s'en faire un miroir.
XVI <
br> Son idéal, c'est lui -Quoi qu'il dise ou qu'il fasse,
Il se regarde vivre, et s'écoute parler.
Car il faut que demain on dise, quand il passe :
Cet homme que voilà, c'est Robert Lovelace
Autour de ce mot-là le monde peut rouler ;
Il est l'axe du monde, et lui permet d'aller.
XV
Avec lui ni procès, ni crainte, ni scandale.
Il jette un drap mouillé sur son père qui râle ;
Il rôde, en chuchotant, sur la pointe du pied.
Un amant plus sincère, à la main plus loyale,
Peut serrer une main trop fort, et l'effrayer ;
Mais lui, n'ayez pas peur de lui, c'est son métier.
XVIII
Qui pourrait se vanter d'avoir surpris son âme ?
L'étude de sa vie est d'en cacher le fond...
On en parle, — on en pleure, — on en rit, qu'en voit on :
Quelques duels oubliés, quelques soupirs de femme,
Quelque joyau de prix sur une épaule infâme,
Quelque croix de bois noir sur un tombeau sans nom.
XIX
Mais comme tout se tait dès qu'il vient à paraître !
Clarisse l'aperçoit, et commence à souffrir.
Comme il est beau ! brillants comme il s'annonce en maître !
Si Clarisse s'indigne et tarde à consentir,
Il dira qu'il se tue-il se tuera peut-être ; —
Mais Clarisse aime mieux le sauver, et mourir.
XX
C'est le roué sans cœur, le spectre à double face,
A la patte de tigre, aux serres de vautour,
Le roué sérieux qui n'eut jamais d'amour ;
Méprisant la douleur comme la populace ;
Disant au genre humain de lui laisser son jour-
Et qui serait César, s'il n'était Lovelace
XXI
Ne lui demandez pas s'il est heureux ou non ;
Il n'en sait rien lui-même, il est ce qu'il doit être.
Il meurt silencieux, tel que Dieu l'a fait naître
L'antilope aux yeux bleus est plus tendre peut-être
Que le roi des forêts ; mais le lion répond
Qu'il n'est pas antilope, et qu'il a nom : lion.
XXII
Voilà l'homme d'un siècle, et l'étoile polaire
Sur qui les écoliers fixent leurs yeux ardents,
L'homme dont Robertson fera le commentaire,
Qui donnera sa vie à lire à nos enfants
Ses crimes noirciront un large bréviaire,
Qui brûlera les mains et les cœurs de vingt ans.
XXIII
Quant au roué Français, au don Juan ordinaire,
Ivre, riche, joyeux, raillant l'homme de pierre,
Ne demandant partout qu'à trouver le vin bon,
Bernant monsieur Dimanche, et disant à son père
Qu'il serait mieux assis pour lui faire un sermon,
C'est l'ombre d'un roué qui ne vaut pas Valmont.
XXIV
Il en est un plus grand, plus beau, plus poétique,
Que personne n'a fait, que Mozart a rêvé,
Qu'Hoffmann a vu passer, au son de la musique,
Sous un éclair divin de sa nuit fantastique,
Admirable portrait qu'il n'a point achevé,
Et que de notre temps Shakspeare aurait trouvé.
XXV
Un jeune homme est assis au bord d'une prairie,
Pensif comme l'amour, beau comme le génie ;
Sa maîtresse enivrée est prête à s'endormir.
Il vient d'avoir vingt ans, son cœur vient de s'ouvrir.
Rameau tremblant encor de l'arbre de la vie,
Tombé, comme le Christ, pour aimer et souffrir
XXVI
Le voilà se noyant dans des larmes de femme,
Devant cette nature aussi belle que lui ;
Pressant le monde entier sur son cœur qui se pâme,
Faible, et, comme le lierre, ayant besoin d'autrui ;
Et ne le cachant pas, et suspendant son âme,
Comme un luth éolien, aux lèvres de la Nuit.
XXVII
Le voilà demandant pourquoi son cœur soupire,
Jurant, les yeux en pleurs, qu'il ne désire rien ;
Caressant sa maîtresse, et des sons de sa lyre
Egayant son sommeil comme un ange gardien ;
Tendant sa coupe d'or à ceux qu'il voit sourire,
Voulant voir leur bonheur pour y chercher le sien.
XXVIII
Le voilà, jeune et beau, sous le ciel de la France,
Déjà riche à vingt ans comme un enfouisseur ;
Portant sur la nature un cœur plein d'espérance,
Aimant, aimé de tous, ouvert comme une fleur ;
Si candide et si frais que l'ange d'innocence
Baiserait sur son front la beauté de son cœur
XXIX
Le voilà, regardez, devinez-lui sa vie.
Quel sort peut-on prédire à cet enfant du ciel ?
L'amour en l'approchant jure d'être éternel ;
Le hasard pense à lui, — la sainte poésie
Retourne en souriant sa coupe d'ambroisie
Sur ses cheveux plus doux et plus blonds que le miel.
XXX
Ce palais, c'est le sien ; — le serf et la campagne
Sont à lui ; — la forêt, le fleuve et la montagne
Ont retenu son nom en écoutant l'écho.
C'est à lui le village, et le pâle troupeau
Des moines. — Quand il passe et traverse un hameau,
Le bon ange du lieu se lève et l'accompagne.
XXXI
Quatre filles de prince ont demandé sa main.
Sachez que s'il voulait la reine pour maîtresse,
Et trois palais de plus, il les aurait demain !
Qu'un juif deviendrait chauve à compter sa richesse,
Et qu'il pourrait jeter, sans que rien en paraisse
Les blés de ses moissons aux oiseaux du chemin.
XXXII
Eh bien ! cet homme-là vivra dans les tavernes
Entre deux charbonniers autour d'un poêle assis ;
La poudre noircira sa barbe et ses sourcils ;
Vous le verrez un jour, tremblant et les yeux ternes
Venir dans son manteau dormir sous les lanternes,
La face ensanglantée et les coudes noircis.
XXXIII
Vous le verrez sauter sur l'échelle dorée,
Pour courir dans un bouge au sortir d'un boudoir,
Portant sa lèvre ardente à la prostituée,
Avant qu'à son balcon done Elvire éplorée,
Dans la profonde nuit croyant encor le voir,
Ait cessé d'agiter sa lampe et son mouchoir.
XXXIV
Vous le verrez, laquais pour une chambrière,
Cachant sous ses habits son valet grelottant ;
Vous le verrez, tranquille et froid comme une pierre,
Pousser dans les ruisseaux le cadavre d'un père,
Et laisser le vieillard traîner ses mains de sang
Sur des murs chauds encor du viol de son enfant.
XXXV
Que direz-vous alors ? Ah ! vous croirez peut-être
Que le monde a blessé ce cœur vaste et hautain,
Que c'est quelque Lara qui se sent méconnaître,
Que l'homme a mal jugé, qui sait ce qu'il peut être,
Et qui, s'apercevant qu'il le serait en vain,
Rend haine contre haine et dédain pour dédain.
XXXVI
Eh bien ! vous vous trompez. — Jamais personne au monde
N'a pensé moins que lui qu'il c'`ait oublié.
Jamais il n'a frappé sans qu'on ne lui réponde ;
Jamais il n'a senti l'inconstance de l'onde,
Et jamais il n'a vu se dresser sous son pié
Le vivace serpent de la fausse amitié.
XXXVII
Que dis-je ? tel qu'il est, le monde l'aime encore ;
Il n'a perdu chez lui ni ses biens ni son rang.
Devant Dieu, devant tous, il s'assoit à son banc.
Ce qu'il a fait de mal, personne ne l'ignore ;
On connaît son génie, on l'admire, on l'honore. —
Seulement, voyez-vous, cet homme, c'est don Juan.
XXXVIII
Oui, don Juan. Le voilà, ce nom que tout répète,
Ce nom mystérieux que tout l'univers prend,
Dont chacun vient parler, et que nul ne comprend ;
Si vaste et si puissant qu'il n'est pas de poète
Qui ne l'ait soulevé dans son cœur et sa tête,
Et pour l'avoir tenté ne soit resté plus grand.
XXXIX
Insensé que je suis ! que fais-je ici moi-même ?
Était-ce donc mon tour de leur parler de toi,
Grande ombre, et d'où viens-tu pour tomber jusqu'à moi ?
C'est qu'avec leurs horreurs, leur doute et leur blasphème
Pas un d'eux ne t'aimait, don Juan ; et moi, je t'aime
Comme le vieux Blondel aimait son pauvre roi.
XL
Oh ! qui me jettera sur ton coursier rapide !
Oh ! qui me prêtera le manteau voyageur,
Pour te suivre en pleurant, candide corrupteur !
Qui me déroulera cette liste homicide,
Cette liste d'amour si remplie et si vide,
Et que ta main peuplait des oublis de ton cœur !
XLI
Trois mille noms charmants ! Trois mille noms de femme !
Pas un qu'avec des pleurs tu n'aies balbutié !
Et ce foyer d'amour qui dévorait ton âme,
Qui lorsque tu mourus, de tes veines de flamme
Remonta dans le ciel comme un ange oublié,
De ces trois mille amours pas un qui l'ait noyé !
XLII
Elles t'aimaient pourtant, ces filles insensées
Que sur ton cœur de fer tu pressas tour à tour ;
Le vent qui t'emportait les avait traversées ;
Elles t'aimaient, don Juan, ces pauvres délaissées
Qui couvraient de baisers l'ombre de ton amour,
Qui te donnaient leur vie, et qui n'avaient qu'un jour !
XLIII
Mais toi, spectre énervé, toi, que faisais-tu d'elles ?
Ah ! massacre et malheur ! tu les aimais aussi,
Toi ! croyant toujours voir sur tes amours nouvelles
Se lever le soleil de tes nuits éternelles,
Te disant chaque soir : Peut-être le voici
Et l'attendant toujours, et vieillissant ainsi !
XLIV
Demandant aux forêts, à la mer, à la plaine,
Aux brises du matin, à toute heure, à tout lieu,
La femme de ton âme et de ton premier vœu !
Prenant pour fiancée un rêve, une ombre vaine,
Et fouillant dans le cœur d'une hécatombe humaine,
Prêtre désespéré, pour y chercher ton Dieu.
XLV
Et que voulais-tu donc ?-Voilà ce que le monde
Au bout de trois cents ans demande encor tout bas
Le sphinx aux yeux perçants attend qu'on lui réponde
Ils savent compter l'heure, et que leur terre est ronde
Ils marchent dans leur ciel sur le bout d'un compas'
Mais ce que tu voulais, ils ne le savent pas.
XLVI
Quelle est donc, disent-ils,. cette femme inconnue,
Qui seule eût mis la main au frein de son coursier ?
Qu'il appelait toujours et qui n'est pas venue ?
Où l'avait-il trouvée ? où l'avait-il perdue ?
Et quel nœud si puissant avait su les lier,
Que, n'ayant pu venir, il n'ait pu l'oublier ?
XLVII
N'en était-il pas une, ou plus noble, ou plus belle,
Parmi tant de beautés, qui, de loin ou de près,
De son vague idéal eût du moins quelques traits ?
Que ne la gardait-il ! qu'on nous dise laquelle.
Toutes lui ressemblaient, — ce n'était jamais elle,
Toutes lui ressemblaient, don Juan, et tu marchais !
XLVIII
Tu ne t'es pas lassé de parcourir la terre !
Ce vain fantôme, à qui Dieu t'avait envoyé,
Tu n'en as pas brisé la forme sous ton pied !
Tu n'es pas remonté, comme l'aigle à son aire
Sans avoir sa pâture, ou comme le tonnerre
Dans sa nue aux flancs d'or, sans avoir foudroyé !
XLIX
Tu n'as jamais médit de ce monde stupide
Qui te dévisageait d'un regard hébété ;
Tu l'as vu, tel qu'il est, dans sa difformité ;
Et tu montais toujours cette montagne aride,
Et tu suçais toujours, plus jeune et plus aride,
Les mamelles d'airain de la Réalité.
L
Et la vierge aux yeux bleus, sur la souple ottomane,
Dans ses bras parfumés te berçait mollement ;
De la fille de roi jusqu'à la paysanne
Tu ne méprisais rien, même la courtisane,
À qui tu disputais son misérable amant ;
Mineur, qui dans un puits cherchais un diamant.
LI
Tu parcourais Madrid, Paris, Naple et Florence ;
Grand seigneur aux palais, voleur aux carrefours ;
Ne comptant ni l'argent, ni les nuits, ni les jours ;
Apprenant du passant à chanter sa romance ;
Ne demandant à Dieu, pour aimer l'existence,
Que ton large horizon et tes larges amours.
LII
Tu retrouvais partout la vérité hideuse,
Jamais ce qu'ici-bas cherchaient tes vœux ardents,
Partout l'hydre éternel qui te montrait les dents ;
Et poursuivant toujours ta vie aventureuse,
Regardant sous tes pieds cette mer orageuse,
Tu te disais tout bas : Ma perle est là dedans.
LIII
Tu mourus plein d'espoir dans ta route infinie,
Et te souciant peu de laisser ici-bas
Des larmes et du sang aux traces de tes pas.
Plus vaste que le ciel et plus grand que la vie,
Tu perdis ta beauté, ta gloire et ton génie
Pour un être impossible, et qui n'existait pas.
LIV
Et le jour que parut le convive de pierre,
Tu vins à sa rencontre, et lui tendis la main ;
Tu tombas foudroyé sur ton dernier festin :
Symbole merveilleux de l'homme sur la terre,
Cherchant de ta main gauche à soulever ton verre
Abandonnant ta droite à celle du Destin !
LV
Maintenant, c'est à toi, lecteur, de reconnaître
Dans quel gouffre sans fond peut descendre ici-bas
Le rêveur insensé qui voudrait d'un tel maître.
Je ne dirai qu'un mot, et tu le comprendras :
Ce que don Juan aimait, Hassan l'aimait peut-être ;
Ce que don Juan cherchait, Hassan n'y croyait pas.
Namouna - Chant premier de Alfred de Musset
Une femme est comme votre ombre :
courez après, elle vous fuit ; fuyez-la,
elle court après vous.
I
Le sofa sur lequel Hassan était couché
Était dans son espèce une admirable chose.
Il était de peau d'ours, — mais d'un ours bien léché ;
Moelleux comme une chatte, et frais comme une rose
Hassan avait d'ailleurs une très noble pose,
Il était nu comme Ève à son premier péché.
II
Quoi ! tout nu ! dira-t-on, n'avait-il pas de honte ?
Nu, dès le second mot !-Que sera-ce à la fin ?
Monsieur, excusez-moi, — je commence ce conte
Juste quand mon héros vient de sortir du bain
Je demande pour lui l'indulgence, et j'y compte.
Hassan était donc nu, — mais nu comme la main,
III
Nu comme un plat d'argent, — nu comme un mur
Nu comme le discours d'un académicien.
Ma lectrice rougit, et je la scandalise.
Mais comment se fait-il, madame, que l'on dise
Que vous avez la jambe et la poitrine bien ?
Comment le dirait-on, si l'on n'en savait rient
IV
Madame alléguera qu'elle monte en berline ;
Qu'elle a passé les ponts quand il faisait du vent ;
Que, lorsqu'on voit le pied, la jambe se devine ;
Et tout le monde sait qu'elle a le pied charmant
Mais moi qui ne suis pas du monde, j'imagine
Qu'elle aura trop aimé quelque indiscret amant.
V
Et quel crime est-ce donc de se mettre à son aise,
Quand on est tendrement aimée, — et qu'il fait chaud ?
On est si bien tout nu, dans une large chaise !
Croyez-m'en, belle dame, et, ne vous en déplaise,
Si vous m'apparteniez, vous y seriez bientôt.
Vous en crieriez sans doute un peu, — mais pas bien haut,
VI
Dans un objet aimé qu'est-ce donc que l'on aime ?
Est-ce du taffetas ou du papier gommé ?
Est-ce un bracelet d'or, un peigne parfumé ?
Non, — ce qu'on aime en vous, madame, c'est vous même.
La parure est une arme, et le bonheur suprême,
Après qu'on a vaincu, c'est d'avoir désarmé.
VII
Tout est nu sur la terre, hormis l'hypocrisie ;
Tout est nu dans les cieux, tout est nu dans la vie,
Les tombeaux, les enfants et les divinités.
Tous les cœurs vraiment beaux laissent voir leurs beautés
Ainsi donc le héros de cette comédie
Restera nu, madame, — et vous y consentez.
VIII
Un silence parfait règne dans cette histoire
Sur les bras du jeune homme et sur ses pieds d'ivoire
La naïade aux yeux verts pleurait en le quittant.
On entendait à peine au fond de la baignoire
Glisser l'eau fugitive, et d'instant en instant
Les robinets d'airain chanter en s'égouttant.
IX
Le soleil se couchait ; — on était en septembre :
Un triste mois chez nous, — mais un mois sans pareil
Chez ces peuples dorés qu'a bénis le soleil.
Hassan poussa du pied la porte de la chambre.
Heureux homme !-il fumait de l'opium dans de l'ambre,
Et vivant sans remords, il aimait le sommeil.
X
Bien qu'il ne s'élevât qu'à quelques pieds de terre,
Hassan était peut-être un homme à caractère ;
Il ne le montrait pas, n'en ayant pas besoin
Sa petite médaille annonçait un bon coin.
Il était très bien pris ; — on eût dit que sa mère
L'avait fait tout petit pour le faire avec soin.
XI
Il était indolent, et très opiniâtre ;
Bien cambré, bien lavé, le visage olivâtre,
Des mains de patricien, — l'aspect fier et nerveux,
La barbe et les sourcils très noirs, — un corps d'albâtre.
Ce qu'il avait de beau surtout, c'étaient les yeux.
Je ne vous dirai pas un mot de ses cheveux ;
XII
C'est une vanité qu'on rase en Tartarie.
Ce pays-là pourtant n'était pas sa patrie.
Il était renégat, — Français de nation, —
Riche aujourd'hui, jadis chevalier d'industrie,
Il avait dans la mer jeté comme un haillon
Son titre, sa famille et sa religion.
XIII
Il était très joyeux, et pourtant très maussade.
Détestable voisin, — excellent camarade,
Extrêmement futile, — et pourtant très posé,
Indignement naïf, — et pourtant très blasé,
Horriblement sincère, — et pourtant très rusé
Vous souvient-il, lecteur, de cette sérénade
XIV
Que don Juan, déguisé, chante sous un balcon ?
-Une mélancolique et piteuse chanson,
Respirant la douleur, l'amour et la tristesse.
Mais l'accompagnement parle d'un autre ton.
Comme il est vif, joyeux ! avec quelle prestesse
Il sautille !-On dirait que la chanson caresse
XV
Et couvre de langueur le perfide instrument,
Tandis que l'air moqueur de l'accompagnement
Tourne en dérision la chanson elle-même,
Et semble la railler d'aller si tristement
Tout cela cependant fait un plaisir extrême. —
C'est que tout en est vrai, — c'est qu'on trompe et
XVI
C'est qu'on pleure en riant ; — c'est qu'on est innocent
Et coupable à la fois ; — c'est qu'on se croit parjure
Lorsqu'on n'est qu'abusé ; c'est qu'on verse le sang
Avec des mains sans tache, et que notre nature
A de mal et de bien pétri sa créature :
Tel est le monde, hélas ! et tel était Hassan.
XVII
C'était un bon enfant dans la force du terme ;
Très bon-et très enfant ; — mais quand il avait dit :
Je veux que cela soit , il était comme un terme.
Il changeait de dessein comme on change d'habit ;
Mais il fallait toujours que le dernier se fît.
C'était un océan devenu terre ferme.
XVIII
Bizarrerie étrange ! avec ses goûts changeants,
Il ne pouvait souffrir rien d'extraordinaire
Il n'aurait pas marché sur une mouche à terre.
Mais s'il l'avait trouvée à dîner dans son verre,
Il aurait assommé quatre ou cinq de ses gens -
Parlez après cela des bons et des méchants !
XIX
Venez après cela crier d'un ton de maître
Que c'est le cœur humain qu'un auteur doit connaître !
Toujours le cœur humain pour modèle et pour loi.
Le cœur humain de qui ? le cœur humain de quoi ?
Celui de mon voisin a sa manière d'être ;
Mais morbleu ! comme lui, j'ai mon cœur humain, moi.
XX
Cette vie est à tous, et celle que je mène,
Quand le diable y serait, est une vie humaine.
Alors, me dira-t-on, c'est vous que vous peignez,
Vous êtes le héros, vous vous mettez en scène
-Pas du tout, — cher lecteur, — je prends à l'un le nez
-À l'autre, le talon, — à l'autre, — devinez.
XXI
En ce cas vous créez un monstre, une chimère,
Vous faites un enfant qui n'aura point de père.
-Point de père, grand Dieu ! quand, comme Trissotin
J'en suis chez mon libraire accouché ce matin !
D'ailleurs is pater est quem nuptiae... j'espère
Que vous m'épargnerez de vous parler latin.
XXII
Consultez les experts, le moderne et l'antique ;
On est, dit Brid'oison, toujours fils de quelqu'un .
Que l'on fasse, après tout, un enfant blond, ou brun,
Pulmonique ou bossu, borgne ou paralytique,
C'est déjà très joli, quand on en a fait un ;
Et le mien a pour lui qu'il n'est point historique.
XXIII
Considérez aussi que je n ai rien volé
A la Bibliothèque ; — et bien que cette histoire
Se passe en Orient, je n'en ai point parlé.
Il est vrai que, pour moi, je n'y suis point allé.
Mais c'est si grand, si loin !-Avec de la mémoire
On se tire de tout :-allez voir pour y croire.
XXIV
Si d'un coup de pinceau je vous avais bâti
Quelque ville aux toits bleus, quelque blanche mosquée,
Quelque tirade en vers, d'or et d'argent plaquée,
Quelque description de minarets flanquée,
Avec l'horizon rouge et le ciel assorti,
M'auriez-vous répondu : Vous en avez menti ?
XXV
Je vous dis tout cela, lecteur, pour qu'en échange
Vous me fassiez aussi quelque concession.
J'ai peur que mon héros ne vous paraisse étrange ;
Car l'étrange, à vrai dire, était sa passion.
Mais, madame, après tout, je ne suis pas un ange.
Et qui l'est ici-bas ?-Tartuffe a bien raison.
XXVI
Hassan était un être impossible à décrire.
C'est en vain qu'avec lui je voudrais vous lier,
Son cœur est un logis qui n'a pas d'escalier.
Ses intimes amis ne savaient trop qu'en dire.
Parler est trop facile, et c'est trop long d'écrire :
Ses secrets sentiments restaient sur l'oreiller.
XXVII
Il n'avait ni parents, ni guenon, ni maîtresse.
Rien d'ordinaire en lui, — rien qui le rattachât
Au commun des martyrs, — pas un chien, pas un chat.
Il faut cependant bien que je vous intéresse
A mon pauvre héros. — Dire qu'il est pacha,
C'est un moyen usé, c'est une maladresse.
XXVIII
Dire qu'il est grognon, sombre et mystérieux,
Ce n'est pas vrai d'abord, et c'est encor plus vieux.
Dire qu'il me plaît fort, cela n'importe guère.
C'est tout simple d'ailleurs, puisque je suis son père
Dire qu'il est gentil comme un cœur, c'est vulgaire.
J'ai déjà dit là-haut qu'il avait de beaux yeux.
XXIX
Dire qu'il n'avait peur ni de Dieu ni du diable,
C'est chanceux d'une part, et de l'autre immoral.
Dire qu'il vous plaira, ce n'est pas vraisemblable.
Ne rien dire du tout, cela vous est égal.
Je me contente donc du seul terme passable
Qui puisse l'excuser :-c'est un original.
XXX
Plût à Dieu, qui peut tout, que cela pût suffire
A le justifier de ce que je vais dire !
Il le faut cependant, — le vrai seul est ma loi.
Au fait, s'il agit mal, on pourrait rêver pire.
Ma foi, tant pis pour lui :-je ne vois pas pourquoi
Les sottises d'Hassan retomberaient sur moi.
XXXI
D'ailleurs on verra bien, si peu qu'on me connaisse,
Que mon héros de moi diffère entièrement.
J'ai des prétentions à la délicatesse ;
Quand il m'est arrivé d'avoir une maîtresse,
Je me suis comporté très pacifiquement.
En honneur devant Dieu, je ne sais pas comment
XXXII
J'ai pu, tel que je suis, entamer cette histoire,
Pleine, telle qu'elle est, d'une atrocité noire.
C'est au point maintenant que je me sens tenté
De l'abandonner là pour ma plus grande gloire,
Et que je brûlerais mon œuvre, en vérité,
Si ce n'était respect pour la postérité.
XXXIII
Je disais donc qu'Hassan était natif de France ;
Mais je ne disais pas par quelle extravagance
Il en était venu jusqu'à croire, à vingt ans,
Qu'une femme ici-bas n'était qu'un passe-temps.
Quand il en rencontrait une à sa convenance,
S'il la cardait huit jours. c'était déjà longtemps.
XXXIV
On sent l'absurdité d'un semblable système,
Puisqu'il est avéré que, lorsqu'on dit qu'on aime,
On dit en même temps qu'on aimera toujours, —
Et qu'on n'a jamais vu ni rois ni troubadours
Jurer à leurs beautés de les aimer huit jours.
Mais cet enfant gâté ne vivait que de crème
XXXV
Je sais bien, disait-il un jour qu'on en parlait,
Que les trois quarts du temps ma crème a le goût d'ailette
Nous avons sur ce point un siècle de vinaigre,
Où c'est déjà beaucoup que de trouver du lait
Mais toute servitude en amour me déplaît ;
J'aimerais mieux. je crois, être le chien d'un nègre,
XXXVI
Ou mourir sous le fouet d'un cheval rétif,
Que de craindre une jupe et d'avoir pour maîtresse
Un de ces beaux geôliers, au regard attentif,
Qui, d'un pas mesuré marchant sur la souplesse
Du haut de leurs yeux bleus vous promènent en laisse
Un bâton de noyer, au moins, c'est positif.
XXXVII
On connaît son affaire, — on sait à quoi s'attendre ;
On se frotte le dos, — on s'y fait par degré
Mais vivre ensorcelé sous un ruban doré !
boire du lait sucré dans un maillot vert tendre !
N'avoir à son cachot qu'un mur si délabré,
Qu'on ne s'y saurait même accrocher pour s'a pendre
XXXVIII
Ajoutez à cela que, pour comble d'horreur,
La femme la plus sèche et la moins malhonnête
Au bout de mes huit jours trouvera dans sa tête,
Ou dans quelque recoin oublié de son cœur,
Un amant qui jadis lui faisait plus d'honneur,
Un cœur plus expansif, une jambe mieux faite
XXXIX
Plus de douceur dans l'âme ou de nerf dans les bras
— Je rappelle au lecteur qu'ici comme là-bas
C'est mon héros qui parle, et je mourrais de honte
S'il croyait un instant que ce que je raconte,
Ici plus que jamais, ne me révolte pas
Or donc, disait Hassan, plus la rupture est prompte,
XL
Plus mes petits talents gardent de leur fraîcheur
C'est la satiété qui calcule et qui pense.
Tant qu'un grain d'amitié reste dans la balance.
Le Souvenir souffrant s'attache à l'espérance
Comme un enfant malade aux lèvres de sa sœur.
L'esprit n'y voit pas clair avec les yeux du cœur.
XLI
Le dégoût, c'est la haine — et quel motif de haine
Pourrais-je soulever ?— pourquoi m'en voudrait-on ?
Une femme dira qu'elle pleure : — et moi donc !
Je pleure horriblement ! — je me soutiens à peine ;
Que dis-je, malheureux ! il faut qu'on me soutienne.
Je n'ose même pas demander mon pardon.
XLII
Je me prive du corps, mais je conserve l'âme.
Il est vrai, dira-t-on, qu'il est plus d'une femme
Près de qui l'on ne fait, avec un tel moyen,
Que se priver de tout et ne conserver rien.
Mais c'est un pur mensonge, un calembour infâme,
Qui ne mordra jamais sur un homme de bien
XLIII
Voilà ce que disait Hassan pour sa défense.
Bien entendu qu'alors tout se passait en France,
Du temps que sur l'oreille il avait ce bonnet
Qui fit à son départ une si belle danse
Par dessus les moulins. Du reste, s'il tenait
A son raisonnement, c'est qu'il le comprenait.
XLIV
Bien qu'il traitât l'amour d'après un catéchisme,
Et qu'il mit tous ses soins à dorer son sophisme,
Hassan avait des nerfs qu'il ne pouvait railler.
Chez lui la jouissance était un paroxysme
Vraiment inconcevable et fait pour effrayer :
Non pas qu'on l'entendit ni pleurer ni crier. —
XLV
Un léger tremblement, — une pâleur extrême, —
Une convulsion de la gorge un blasphème, —
Quelques mots sans raison balbutiés tout bas,
C'est tout ce qu'on voyait sa maîtresse elle-même
N'en sentait rien, sinon qu'il restait dans ses bras
Sans haleine et sans force, et ne répondait pas.
XLVI
Mais à cette bizarre et ridicule ivresse
Succédait d'ordinaire un tel enchantement
Qu'il commençait d'abord par faire à sa maîtresse
Mille et un madrigaux, le tout très lourdement.
Il devenait tout miel, tout sucre et tout caresse.
Il eût communié dans un pareil moment.
XLVII.
Il n'existait alors secret ni confidence
Qui pût y résister. — Tout partait, tout roulait ;
Tous les épanchements du monde entraient en danse,
Illusions, soucis, gloire, amour, espérance ;
Jamais confessionnal ne vit de chapelet
Comparable en longueur à ceux qu'il défilait.
XLVIII
Ah ! c'est un grand malheur, quand on a le cœur tendre,
Que ce lien de fer que la nature a mis
Entre l'âme et le corps, ces frères ennemis !
Ce qui m'étonne, moi, c'est que Dieu l'ait permis
Voilà le nœud gordien qu'il fallait qu'Alexandre
Rompît de son épée, et réduisit en cendre.
XLIX
L'âme et le corps, hélas ! ils iront deux à deux,
Tant que le monde ira, — pas à pas, — côte à côte,
Comme s'en vont les vers classiques et les bœufs.
L'un disant : Tu fais mal ! et l'autre : C'est ta faute.
Ah ! misérable hôtesse, et plus misérable hôte !
Ce n'est vraiment pas vrai que tout soit pour le mieux.
L
Et la preuve, lecteur, la preuve irrécusable
Que ce monde est mauvais, c'est que pour y rester
Il a fallu s'en faire un autre, et l'inventer
Un autre !-monde étrange, absurde, inhabitable,
Et qui, pour valoir mieux que le seul véritable,
N'a pas même un instant eu besoin d'exister
LI
Oui, oui, n'en doutez pas, c'est un plaisir perfide
Que d'enivrer son âme avec le vin des sens ;
Que de baiser au front la volupté timide,
Et de laisser tomber, comme la jeune Elfride.
La clef d'or de son cœur dans les eaux des torrents.
Heureux celui qui met, dans de pareils moments,
LII
Comme ce vieux vizir qui gardait sa sultane,
La lame de son sabre entre une femme et lui !
Heureux l'autel impur qui n'a pas de profane !
Heureux l'homme indolent pour qui tout est fini
Quand le plaisir s'émousse, et que la courtisane
N'a jamais vu pleurer après qu'il avait ri !
LIII
Ah ! l'abîme est si grand ! la pente est si glissante !
Une maîtresse aimée est si près d'une sœur !
Elle vient si souvent, plaintive et caressante,
Poser, en chuchotant, son cœur sur votre cœur !
L'homme est si faible alors ! la femme est si puissante !
Le chemin est si doux du plaisir au bonheur !
LIV
Pauvres gens que nous tous !-Et celui qui se livre,
De ce qu'il aura fait doit tôt ou tard gémir !
La coupe est là, brûlante, — et celui qui s'enivre
Doit rire de pitié s'il ne veut pas frémir !
Voilà le train du monde, et ceux qui savent vivre
Vous diront à cela qu'il valait mieux dormir.
LV
Oui, dormir-et rêver !-Ah ! que la vie est belle,
Quand un rêve divin fait sur sa nudité
Pleuvoir les rayons d'or de son prisme enchanté !
Frais comme la rosée, et fils du ciel comme elle !
Jeune oiseau de la nuit, qui, sans mouiller son aile,
Voltige sur les mers de la réalité !
LVI
Ah ! si la rêverie était toujours possible !
Et si le somnambule, en étendant la main,
Ne trouvait pas toujours la nature inflexible
Qui lui heurte le front contre un pilier d'airain !
Si l'on pouvait se faire une armure insensible !
Si l'on rassasiait l'amour comme la faim !
LVII
Pourquoi Manon Lescaut, dès la première scène,
Est-elle si vivante et si vraiment humaine,
Qu'il semble qu'on l'a vue et que c'est un portrait ?
Et pourquoi l'Héloïse est-elle une ombre vaine,
Qu'on aime sans y croire et que nul ne connaît ?
Ah ! rêveurs, ah, rêveurs, que vous avons-nous fait ?
LVIII
Pourquoi promenez-vous ces spectres de lumière
Devant le rideau noir de nos nuits sans sommeil,
Puisqu'il faut qu'ici-bas tout songe ait son réveil,
Et puisque le désir se sent cloué sur terre,
Comme un aigle blessé qui meurt dans la poussière,
L'aile ouverte, et les yeux fixés sur le soleil ?
LIX
Manon ! sphinx étonnants véritable sirène,
Cœur trois fois féminin, Cléopâtre en paniers !
Quoi qu'on dise ou qu'on fasse, et bien qu'à Sainte Hélène
On ait trouvé ton livre écrit pour des portiers,
Tu n'en es pas moins vraie, infâme, et Cléomène
N'est pas digne, à mon sens, de te baiser les pieds
LX
Tu m'amuses autant que Tiberge m'ennuie ,
Comme je crois en toi ! que je t'aime et te hais !
Quelle perversité ! quelle ardeur inouïe
Pour l'or et le plaisir ! Comme toute la vie
Est dans tes moindres mots ! Ah ! folle que tu es.
Comme je t'aimerais demain, si tu vivais !
LXI
En vérité, lecteur, je crois que je radote.
Si tout ce que je dis vient à propos de botte,
Comment goûteras-tu ce que je dis de bon ?
J'ai fait un hiatus indigne de pardon ;
Je compte là-dessus rédiger une note.
J'en suis donc à te dire... où diable en suis-je donc ?
LXII
M'y voilà. — Je disais qu'Hassan, près d'une femme,
Était très expansif, — il voulait tout ou rien.
Je confesse, pour moi, que je ne sais pas bien
Comment on peut donner le corps sans donner l'âme,
L'un étant la fumée, et l'autre étant la flamme.
Je ne sais pas non plus s'il était bon chrétien ;
LXIII
Je ne sais même pas quelle était sa croyance,
Ni quel secret si tendre il avait confié,
Ni de quelle façon, quand il était en France,
Ses maîtresses d'un jour l'avaient mystifié,
Ni ce qu'il en pensait, — ni quelle extravagance
L'avait fait blasphémer l'amour et l'amitié,
LXIV
Mais enfin, certain soir qu'il ne savait que faire,
Se trouvant mal en train vis-à-vis de son verre,
Pour tuer un quart d'heure il prit monsieur Galland.
Dieu voulut qu'il y vît comme quoi le sultan
Envoyait tous les jours une sultane en terre,
Et ce fut là-dessus qu'il se fit musulman .
LXV
Tous les premiers du mois, un juif aux mains crochues
Amenait chez Hassan deux jeunes filles nues,
Tous les derniers du mois on leur donnait un bain,
Un déjeuner, un voile, un sequin dans la main,
Et puis on les priait d'aller courir les rues.
Système assurément qui n'a rien d'inhumain
LXVI
C'était ainsi qu'Hassan, quatre fois par semaine,
Abandonnait son âme au doux plaisir d'aimer.
Ne sachant pas le turc, il se livrait sans peine :
À son aise en français il pouvait se pâmer.
Le lendemain, bonsoir. — Une vieille Égyptienne
Venait ouvrir la porte au maître, et la fermer.
LXVII
Ceci pourra sembler fort extraordinaire,
Et j'en sais qui riront d'un système pareil.
Mais il parait qu'Hassan se croyait, au contraire,
L'homme le plus heureux qui fût sous le soleil.
Ainsi donc, pour l'instant, lecteur, laissons-le faire.
Le voilà, tel qu'il est, attendant le sommeil.
LXVIII
Le sommeil ne vint pas, — mais cette douce ivresse
Qui semble être sa sœur, ou plutôt sa maîtresse ;
Qui, sans fermer les yeux, ouvre l'âme à l'oubli ;
Cette ivresse du cœur, si douce à la paresse
Que, lorsqu'elle vous quitte, on croit qu'on a dormi ;
Pâle comme Morphée, et plus belle que lui.
LXIX
C'est le sommeil de l'âme
On se remue, on bâille, et cependant on dort.
On se sent très bien vivre, et pourtant on est mort
On ne parlerait pas d'amour, mais je présume
Que l'on serait capable, avec un peu d'effort...
Je crois qu'une sottise est au bout de ma plume.
LXX
Avez-vous jamais vu, dans le creux d'un ravin,
Un bon gros vieux faisan, qui se frotte le ventre,
S'arrondir au soleil, et ronfler comme un chantre ?
Tous les points de sa boule aspirent vers le centre.
On dirait qu'il rumine, ou qu'il cuve du vin,
Enfin, quoi qu'il en soit, c'est un état divin.
LXXI
Lecteur, si tu t'en vas jamais en Terre sainte,
Regarde sous tes pieds : tu verras des heureux.
Ce sont de vieux fumeurs qui dorment dans l'enceinte
Où s'élevait jadis la cité des Hébreux.
Ces gens-là savent seuls vivre et mourir sans plainte :
Ce sont des mendiants qu'on prendrait pour des dieux.
LXXII
Ils parlent rarement, — ils sont assis par terre,
Nus, ou déguenillés, le front sur une pierre,
N'ayant ni sou ni poche, et ne pensant à rien.
Ne les réveille pas : ils t'appelleraient chien.
Ne les écrase pas : ils te laisseraient faire.
Ne les méprise pas : car ils te valent bien.
LXXIII
C'est le point capital du mahométanisme
De mettre le bonheur dans la stupidité.
Que n'en est-il ainsi dans le christianisme !
J'en citerais plus d'un qui l'aurait mérité,
Et qui mourrait heureux sans s'en être douté !
Diable ! j'ai du malheur, — encore un barbarisme.
LXXIV
On dit mahométisme, et j'en suis bien fâché .
Il fallait me lever pour prendre un dictionnaire,
Et j'avais fait mon vers avant d'avoir cherché.
Je me suis retourné, — ma plume était par terre.
J'avais marché dessus, — j'ai souillé, de colère
Ma bougie et ma verve, et je me suis couché.
LXXV
Tu vois, ami lecteur, jusqu'où va ma franchise
Mon héros est tout nu, moi je suis en chemise.
Je pousse la candeur jusqu'à t'entretenir
D'un chagrin domestique. — Où voulais-je en venir ?
Je suis comme Enéas portant son père Anchise.
LXXXVI
Énéas s'essoufflait, et marchait à grands pas.
Sa femme à chaque instant demeurait en arrière
Créüse, disait-il, pourquoi ne viens-tu pas ?
Créüse répondait : Je mets ma jarretière.
-Mets-la donc, et suis-nous, répondait Énéas.
Je vais, si tu ne viens, laisser tomber mon père.
LXXVII
Lecteur, nous allons voir si tu comprends ceci
Anchise est mon poème ; et ma femme Créüse
Qui va toujours trainant en chemin. c'est ma muse
Elle s'en va là-bas quand je la crois ici.
Une pierre l'arrête, un papillon l'amuse.
Quand arriverons-nous si nous marchons ainsi ?
LXXVIII
Enéas, d'une part, a besoin de sa femme.
Sans elle, à dire vrai, ce n'est qu'un corps sans âme.
Anchise, d'autre part, est horriblement lourd.
Le troisième péril, c'est que Troie est en flamme.
Mais, dès qu'Anchise grogne ou que sa femme court.
Créas est forcé de s'arrêter tout court.
Sois soumis, mon chagrin de Georges Perec
Sois soumis, mon chagrin, puis dans ton coin sois sourd.
Tu la voulais la nuit, la voilà, la voici :
Un air tout obscurci a chu sur nos faubourgs,
Ici portant la paix, là-bas donnant souci.
Tandis qu'un vil magma d'humains, oh, trop banals,
Sous l'aiguillon Plaisir, guillotin sans amour,
Va puisant son poison aux puants carnavals,
Mon chagrin, saisis-moi la main; là, pour toujours,
Loin d'ici. Vois s'offrir sur un balcon d'oubli,
Aux habits pourrissants, nos ans qui sont partis;
Surgir du fond marin un guignon souriant;
Apollon moribond s'assoupir sous un arc,
Puis ainsi qu'un drap noir traînant au clair ponant,
Ouïs, Amour, ouïs la Nuit qui sourd du parc.
Roses du soir de Renée Vivien
Des roses sur la mer, des roses dans le soir,
Et toi qui viens de loin, les mains lourdes de roses !
J'aspire ta beauté. Le couchant fait pleuvoir
Ses fines cendres d'or et ses poussières roses
Des roses sur la mer, des roses dans le soir.
Un songe évocateur tient mes paupières closes.
J'attends, ne sachant trop ce que j'attends en vain,
Devant la mer pareille aux boucliers d'airain,
Et te voici venue en m'apportant des roses...
Ô roses dans le ciel et le soir ! Ô mes roses !
En débarquant à Mytilène de Renée Vivien
Du fond de mon passé, je retourne vers toi,
Mytilène, à travers les siècles disparates,
T’apportant ma ferveur, ma jeunesse et ma foi,
Et mon amour, ainsi qu’un présent d’aromates
Mytilène, à travers les siècles disparates,
Du fond de mon passé, je retourne vers toi.
Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes,
Et ton azur où je me fonds et me dissous,
Tes barques, et tes monts avec leurs nobles lignes,
Tes cigales aux cris exaspérés et fous
Sous ton azur, où je me fonds et me dissous,
Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes.
Reçois dans tes vergers un couple féminin,
Ile mélodieuse et propice aux caresses
Parmi l’asiatique odeur du lourd jasmin,
Tu n’as point oublié Psappha ni ses maîtresses
Ile mélodieuse et propice aux caresses
Reçois dans tes vergers un couple féminin
Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique
Ressuscite pour nous les lyres et les voix,
Et les rires anciens, et l’ancienne musique
Qui rendit si poignants les baisers d’autrefois
Toi qui gardes l’écho des lyres et des voix,
Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique
Evoque les péplos ondoyant dans le soir,
Les lueurs blondes et rousses des chevelures,
La coupe d’or et les colliers et le miroir,
Et la fleur d’hyacinthe et les faibles murmures
Évoque la clarté des belles chevelures
Et les légers péplos qui passaient, dans le soir
Quand, disposant leurs corps sur tes lits d’algues sèches,
Les amantes jetaient des mots las et brisés,
Tu mêlais tes odeurs de roses et de pêches
Aux longs chuchotements qui suivent les baisers
À notre tour, jetant des mots las et brisés,
Nous disposons nos corps sur tes lits d’algues sèches
Mytilène, parue et splendeur de la mer,
Comme elle versatile et comme elle éternelle,
Sois l’autel aujourd’hui des ivresses d’hier
Puisque Psappha couchait avec une Immortelle,
Accueille-nous avec bonté, pour l’amour d’elle,
Mytilène, parure et splendeur de la mer !
Sonnet de porcelaine de Renée Vivien
Le soir, ouvrant au vent ses ailes de phalène,
Évoque un souvenir fragilement rosé,
Le souvenir, touchant comme un Saxe brisé,
De ta naïveté fraîche de porcelaine.
Notre chambre d'hier, où meurt la marjolaine,
N'aura plus ton regard plein de ciel ardoisé,
Ni ton étonnement puéril et rusé...
Ô frissons de ta nuque où brûlait mon haleine !
Et mon coeur, dont la paix ne craint plus ton retour,
Ne sanglotera plus son misérable amour,
Frêle apparition que le silence éveille !
Loin du sincère avril de venins et de miels,
Tu souris, m'apportant les fleurs de ta corbeille,
Fleurs précieuses des champs artificiels.
L’offrande de Renée Vivien
Pour lui prouver que je l’aime plus que moi-même,
Je donnerai mes yeux à la femme que j’aime.
Je lui dirai d’un ton humble, tendre et joyeux :
Ma très chère, voici l’offrande de mes yeux.
Je te donnerai mes yeux qui virent tant de choses.
Tant de couchants et tant de mers et tant de roses.
Ces yeux, qui furent miens, se posèrent jadis
Sur le terrible autel de l’antique Eleusis,
Sur Séville aux beautés pieuses et profanes,
Sur la lente Arabie avec ses caravanes.
J’ai vu Grenade éprise en vain de ses grandeurs
Mortes, parmi les chants et les lourdes odeurs.
Venise qui pâlit, Dogaresse mourante,
Et Florence qui fut la maîtresse de Dante.
J’ai vu l’Hellade où pleure un écho de syrinx,
Et l’Egypte accroupie en face du grand Sphinx,
J’ai vu, près des flots sourds que la nuit rassérène,
Ces lourds vergers qui sont l’orgueil de Mytilène.
J’ai vu des îles d’or aux temples parfumés,
Et ce Yeddo, plein de voix frêles de mousmés.
Au hasard des climats, des courants et des zones,
J’ai vu la Chine même avec ses faces jaunes…
J’ai vu les îles d’or où l’air se fait plus doux,
Et les étangs sacrés près des temples hindous,
Ces temples où survit l’inutile sagesse…
Je te donne tout ce que j’ai vu, ma maîtresse !
Je reviens, t’apportant mes ciels gris ou joyeux.
Toi que j’aime, voici l’offrande de mes yeux.
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