Poésie française
Au courant de l'amour lorsque je m'abandonne, Dans le torrent divin quand je plonge enivré, Et presse éperdument sur mon sein qui frissonne Un être idolâtre. Je sais que je n'étreins qu'une forme fragile, Qu'elle peut à l'instant se glacer sous ma main, Que ce cœur tout à moi, fait de flamme et d'argile, Sera cendre demain ; Qu'il n'en sortira rien, rien, pas une étincelle Qui s'élance et remonte à son foyer lointain : Un peu de terre en hâte, une pierre qu'on scelle, Et tout est bien éteint. Et l'on viendrait serein, à cette heure dernière, Quand des restes humains le souffle a déserté, Devant ces froids débris, devant cette poussière Parler d'éternité ! L'éternité ! Quelle est cette étrange menace ? A l'amant qui gémit, sous son deuil écrase, Pourquoi jeter ce mot qui terrifie et glace Un cœur déjà brisé ? Quoi ! le ciel, en dépit de la fosse profonde, S'ouvrirait à l'objet de mon amour jaloux ? C'est assez d'un tombeau, je ne veux pas d'un monde Se dressant entre nous. On me répond en vain pour calmer mes alarmes ! « L'être dont sans pitié la mort te sépara, Ce ciel que tu maudis, dans le trouble et les larmes, Le ciel te le rendra. » Me le rendre, grand Dieu ! mais ceint d'une auréole, Rempli d'autres pensers, brûlant d'une autre ardeur, N'ayant plus rien en soi de cette chère idole Qui vivait sur mon cœur ! Ah! j'aime mieux cent fois que tout meure avec elle, Ne pas la retrouver, ne jamais la revoir ; La douleur qui me navre est certes moins cruelle Que votre affreux espoir. Tant que je sens encor, sous ma moindre caresse, Un sein vivant frémir et battre à coups pressés, Qu'au-dessus du néant un même flot d'ivresse Nous soulève enlacés, Sans regret inutile et sans plaintes amères, Par la réalité je me laisse ravir. Non, mon cœur ne s'est pas jeté sur des chimères : Il sait où s'assouvir. Qu'ai-je affaire vraiment de votre là-haut morne, Moi qui ne suis qu'élan, que tendresse et transports ? Mon ciel est ici-bas, grand ouvert et sans borne ; Je m'y lance, âme et corps. Durer n'est rien. Nature, ô créatrice, ô mère ! Quand sous ton œil divin un couple s'est uni, Qu'importe à leur amour qu'il se sache éphémère S'il se sent infini ? C'est une volupté, mais terrible et sublime, De jeter dans le vide un regard éperdu, Et l'on s'étreint plus fort lorsque sur un abîme On se voit suspendu. Quand la Mort serait là, quand l'attache invisible Soudain se délierait qui nous retient encor, Et quand je sentirais dans une angoisse horrible M'échapper mon trésor, Je ne faiblirais pas. Fort de ma douleur même, Tout entier à l'adieu qui va nous séparer, J'aurais assez d'amour en cet instant suprême Pour ne rien espérer.
Dans tout l'enivrement d'un orgueil sans mesure, Ébloui des lueurs de ton esprit borné, Homme, tu m'as crié : « Repose-toi, Nature ! Ton œuvre est close : je suis né ! » Quoi ! lorsqu'elle a l'espace et le temps devant elle, Quand la matière est là sous son doigt créateur, Elle s'arrêterait, l'ouvrière immortelle, Dans l'ivresse de son labeur? Et c'est toi qui serais mes limites dernières ? L'atome humain pourrait entraver mon essor ? C'est à cet abrégé de toutes les misères Qu'aurait tendu mon long effort ? Non, tu n'es pas mon but, non, tu n'es pas ma borne A te franchir déjà je songe en te créant ; Je ne viens pas du fond de l'éternité morne. Pour n'aboutir qu'à ton néant. Ne me vois-tu donc pas, sans fatigue et sans trêve, Remplir l'immensité des œuvres de mes mains ? Vers un terme inconnu, mon espoir et mon rêve, M'élancer par mille chemins, Appelant, tour à tour patiente ou pressée, Et jusqu'en mes écarts poursuivant mon dessein, A la forme, à la vie et même à la pensée La matière éparse en mon sein ? J'aspire ! C'est mon cri, fatal, irrésistible. Pour créer l'univers je n'eus qu'à le jeter ; L'atome s'en émut dans sa sphère invisible, L'astre se mit à graviter. L'éternel mouvement n'est que l'élan des choses Vers l'idéal sacré qu'entrevoit mon désir ; Dans le cours ascendant de mes métamorphoses Je le poursuis sans le saisir ; Je le demande aux cieux, à l'onde, à l'air fluide, Aux éléments confus, aux soleils éclatants ; S'il m'échappe ou résiste à mon étreinte avide, Je le prendrai des mains du Temps. Quand j'entasse à la fois naissances, funérailles, Quand je crée ou détruis avec acharnement, Que fais-je donc, sinon préparer mes entrailles Pour ce suprême enfantement ? Point d'arrêt à mes pas, point de trêve à ma tâche ! Toujours recommencer et toujours repartir. Mais je n'engendre pas sans fin et sans relâche Pour le plaisir d'anéantir. J'ai déjà trop longtemps fait œuvre de marâtre, J'ai trop enseveli, j'ai trop exterminé, Moi qui ne suis au fond que la mère idolâtre D'un seul enfant qui n'est pas né. Quand donc pourrai-je enfin, émue et palpitante, Après tant de travaux et tant d'essais ingrats, A ce fils de mes vœux et de ma longue attente Ouvrir éperdument les bras ? De toute éternité, certitude sublime ! Il est conçu ; mes flancs l'ont senti s'agiter. L'amour qui couve en moi, l'amour que je comprime N'attend que Lui pour éclater. Qu'il apparaisse au jour, et, nourrice en délire, Je laisse dans mon sein ses regards pénétrer. - Mais un voile te cache. - Eh bien ! je le déchire : Me découvrir c'est me livrer. Surprise dans ses jeux, la Force est asservie. Il met les Lois au joug. A sa voix, à son gré, Découvertes enfin, les sources de la Vie Vont épancher leur flot sacré. Dans son élan superbe Il t'échappe, ô Matière ! Fatalité, sa main rompt tes anneaux d'airain ! Et je verrai planer dans sa propre lumière Un être libre et souverain. Où serez-vous alors, vous qui venez de naître, Ou qui naîtrez encore, ô multitude, essaim, Qui, saisis tout à coup du vertige de l'être, Sortiez en foule de mon sein ? Dans la mort, dans l'oubli. Sous leurs vagues obscures Les âges vous auront confondus et roulés, Ayant fait un berceau pour les races futures De vos limons accumulés. Toi-même qui te crois la couronne et le faîte Du monument divin qui n'est point achevé, Homme, qui n'es au fond que l'ébauche imparfaite Du chef-d'œuvre que j'ai rêvé, A ton tour, à ton heure, if faut que tu périsses. Ah ! ton orgueil a beau s'indigner et souffrir, Tu ne seras jamais dans mes mains créatrices Que de l'argile à repétrir.
Eh bien ! reprends-le donc ce peu de fange obscure Qui pour quelques instants s'anima sous ta main ; Dans ton dédain superbe, implacable Nature, Brise à jamais le moule humain. De ces tristes débris quand tu verrais, ravie, D'autres créations éclore à grands essaims, Ton Idée éclater en des formes de vie Plus dociles à tes desseins, Est-ce à dire que Lui, ton espoir, ta chimère, Parce qu'il fut rêvé, puisse un jour exister ? Tu crois avoir conçu, tu voudrais être mère ; A l'œuvre ! il s'agit d'enfanter. Change en réalité ton attente sublime. Mais quoi ! pour les franchir, malgré tous tes élans, La distance est trop grande et trop profond l'abîme Entre ta pensée et tes flancs. La mort est le seul fruit qu'en tes crises futures Il te sera donné d'atteindre et de cueillir ; Toujours nouveaux débris, toujours des créatures Que tu devras ensevelir. Car sur ta route en vain l'âge à l'âge succède ; Les tombes, les berceaux ont beau s'accumuler, L'Idéal qui te fuit, l'Ideal qui t'obsède, A l'infini pour reculer. L'objet de ta poursuite éternelle et sans trêve Demeure un but trompeur à ton vol impuissant Et, sous le nimbe ardent du désir et du rêve, N'est qu'un fantôme éblouissant. Il resplendit de loin, mais reste inaccessible. Prodigue de travaux, de luttes, de trépas, Ta main me sacrifie à ce fils impossible ; Je meurs, et Lui ne naîtra pas. Pourtant je suis ton fils aussi ; réel, vivace, Je sortis de tes bras des les siècles lointains ; Je porte dans mon cœur, je porte sur ma face, Le signe empreint des hauts destins. Un avenir sans fin s'ouvrait ; dans la carrière Le Progrès sur ses pas me pressait d'avancer ; Tu n'aurais même encor qu'à lever la barrière : Je suis là, prêt à m'élancer. Je serais ton sillon ou ton foyer intense ; Tu peux selon ton gré m'ouvrir ou m'allumer. Une unique étincelle, ô mère ! une semence ! Tout s'enflamme ou tout va germer. Ne suis-je point encor seul à te trouver belle ? J'ai compté tes trésors, j'atteste ton pouvoir, Et mon intelligence, ô Nature éternelle ! T'a tendu ton premier miroir. En retour je n'obtiens que dédain et qu'offense. Oui, toujours au péril et dans les vains combats ! Éperdu sur ton sein, sans recours ni défense, Je m'exaspère et me débats. Ah ! si du moins ma force eût égalé ma rage, Je l'aurais déchiré ce sein dur et muet : Se rendant aux assauts de mon ardeur sauvage, Il m'aurait livré son secret. C'en est fait, je succombe, et quand tu dis : « J'aspire ! » Je te réponds : « Je souffre ! » infirme, ensanglanté ; Et par tout ce qui naît , par tout ce qui respire, Ce cri terrible est répété. Oui, je souffre ! et c'est toi, mère, qui m'extermines, Tantôt frappant mes flancs, tantôt blessant mon cœur ; Mon être tout entier, par toutes ses racines, Plonge sans fond dans la douleur. J'offre sous le soleil un lugubre spectacle. Ne naissant, ne vivant que pour agoniser. L'abîme s'ouvre ici, là se dresse l'obstacle : Ou m'engloutir, ou me briser ! Mais, jusque sous le coup du désastre suprême, Moi, l'homme, je t'accuse à la face des cieux. Créatrice, en plein front reçois donc l'anathème De cet atome audacieux. Sois maudite, ô marâtre ! en tes œuvres immenses, Oui, maudite à ta source et dans tes éléments, Pour tous tes abandons, tes oublis, tes démences, Aussi pour tes avortements ! Que la Force en ton sein s'épuise perte à perte ! Que la Matière, à bout de nerf et de ressort, Reste sans mouvement, et se refuse, inerte, A te suivre dans ton essor ! Qu'envahissant les cieux, I'Immobilité morne Sous un voile funèbre éteigne tout flambeau, Puisque d'un univers magnifique et sans borne Tu n'as su faire qu'un tombeau !
Un poète est parti ; sur sa tombe fermée Pas un chant, pas un mot dans cette langue aimée Dont la douceur divine ici-bas l'enivrait. Seul, un pauvre arbre triste à la pâle verdure, Le saule qu'il rêvait, au vent du soir, murmure Sur son ombre éplorée un tendre et long regret. Ce n'est pas de l'oubli ; nous répétons encore, Poète de l'amour, ces chants que fit éclore Dans ton âme éperdue un éternel tourment, Et le Temps sans pitié qui brise de son aile Bien des lauriers, le Temps d'une grâce nouvelle Couronne en s'éloignant ton souvenir charmant. Tu fus l'enfant choyé du siècle. Tes caprices Nous trouvaient indulgents. Nous étions les complices De tes jeunes écarts ; tu pouvais tout oser. De la Muse pour toi nous savions les tendresses, Et nos regards charmés ont compté ses caresses, De son premier sourire à son dernier baiser. Parmi nous maint poète à la bouche inspirée Avait déjà rouvert une source sacrée ; Oui, d'autres nous avaient de leurs chants abreuvés. Mais le cri qui saisit le cœur et le remue, Mais ces accents profonds qui d'une lèvre émue Vont à l'âme de tous, toi seul les as trouvés. Au concert de nos pleurs ta voix s'était mêlée. Entre nous, fils souffrants d'une époque troublée, Le doute et la douleur formaient comme un lien. Ta lyre en nous touchant nous était douce et chère ; Dans le chantre divin nous sentions tous un frère ; C'est le sang de nos cœurs qui courait dans le tien. Rien n'arrêtait ta plainte, et ton âme blessée La laissait échapper navrante et cadencée. Tandis que vers le ciel qui se voile et se clôt De la foule montait une rumeur confuse, Fier et beau, tu jetais, jeune amant de la Muse, À travers tous ces bruits ton immortel sanglot. Lorsque le rossignol, dans la saison brûlante De l'amour et des fleurs, sur la branche tremblante Se pose pour chanter son mal cher et secret, Rien n'arrête l'essor de sa plainte infinie, Et de son gosier frêle un long jet d'harmonie S'élance et se répand au sein de la forêt. La voix mélodieuse enchante au loin l'espace... Mais soudain tout se tait ; le voyageur qui passe Sous la feuille des bois sent un frisson courir. De l'oiseau qu'entraînait une ivresse imprudente L'âme s'est envolée avec la note ardente ; Hélas ! chanter ainsi c'était vouloir mourir !
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par delà le soleil, par delà les éthers, Par delà les confins des sphères étoilées, Mon esprit, tu te meus avec agilité, Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde, Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde Avec une indicible et mâle volupté. Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ; Va te purifier dans l'air supérieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur , Le feu clair qui remplit les espaces limpides. Derrière les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse, Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse S'élancer vers les champs lumineux et sereins ; Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, - Qui plane sur la vie, et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes !
Ce fut long, difficile et triste De te révéler ma tendresse; La voix s'élance et puis résiste, La fierté succombe et se blesse. Je ne sais vraiment pas comment J'ai pu t'avouer mon amour; J'ai craint l'ombre et l'étonnement De ton bel oeil couleur du jour. Je t'ai porté cette nouvelle! Je t'ai tout dit! je m'y résigne; Et tout de même, comme un cygne, Je mets ma tête sous mon aile...