Poésie française
De son bonheur furtif lorsque malgré l'orage L'amant d'Héro courait s'enivrer loin du jour, Et dans la nuit tentait de gagner à la nage Le bord où l'attendait l'Amour, Une lampe envoyait, vigilante et fidèle, En ce péril vers lui son rayon vacillant ; On eût dit dans les cieux quelque étoile immortelle Oui dévoilait son front tremblant. La mer a beau mugir et heurter ses rivages, Les vents au sein des airs déchaîner leur effort, Les oiseaux effrayés pousser des cris sauvages En voyant approcher la Mort, Tant que du haut sommet de la tour solitaire Brille le signe aimé sur l'abîme en fureur, Il ne sentira point, le nageur téméraire, Défaillir son bras ni son coeur. Comme à l'heure sinistre où la mer en sa rage Menaçait d'engloutir cet enfant d'Abydos, Autour de nous dans l'ombre un éternel orage Fait gronder et bondir les flots. Remplissant l'air au loin de ses clameurs funèbres, Chaque vague en passant nous entr'ouvre un tombeau ; Dans les mêmes dangers et les mêmes ténèbres Nous avons le même flambeau. Le pâle et doux rayon tremble encor dans la brume. Le vent l'assaille en vain, vainement les flots sourds La dérobent parfois sous un voile d'écume, La clarté reparaît toujours. Et nous, les yeux levés vers la lueur lointaine, Nous fendons pleins d'espoir les vagues en courroux ; Au bord du gouffre ouvert la lumière incertaine Semble d'en haut veiller sur nous. Ô phare de l'Amour ! qui dans la nuit profonde Nous guides à travers les écueils d'ici-bas, Toi que nous voyons luire entre le ciel et l'onde, Lampe d'Héro, ne t'éteins pas !
Levez les yeux ! C'est moi qui passe sur vos têtes, Diaphane et léger, libre dans le ciel pur ; L'aile ouverte, attendant le souffle des tempêtes, Je plonge et nage en plein azur. Comme un mirage errant, je flotte et je voyage. Coloré par l'aurore et le soir tour à tour, Miroir aérien, je reflète au passage Les sourires changeants du jour. Le soleil me rencontre au bout de sa carrière Couché sur l'horizon dont j'enflamme le bord ; Dans mes flancs transparents le roi de la lumière Lance en fuyant ses flèches d'or. Quand la lune, écartant son cortège d'étoiles, Jette un regard pensif sur le monde endormi, Devant son front glacé je fais courir mes voiles, Ou je les soulève à demi. On croirait voir au loin une flotte qui sombre, Quand, d'un bond furieux fendant l'air ébranlé, L'ouragan sur ma proue inaccessible et sombre S'assied comme un pilote ailé. Dans les champs de l'éther je livre des batailles ; La ruine et la mort ne sont pour moi qu'un jeu. Je me charge de grêle, et porte en mes entrailles La foudre et ses hydres de feu. Sur le sol altéré je m'épanche en ondées. La terre rit ; je tiens sa vie entre mes mains. C'est moi qui gonfle, au sein des terres fécondées, L'épi qui nourrit les humains. Où j'ai passé, soudain tout verdit, tout pullule ; Le sillon que j'enivre enfante avec ardeur. Je suis onde et je cours, je suis sève et circule, Caché dans la source ou la fleur. Un fleuve me recueille, il m'emporte, et je coule Comme une veine au cœur des continents profonds. Sur les longs pays plats ma nappe se déroule, Ou s'engouffre à travers les monts. Rien ne m'arrête plus ; dans mon élan rapide J'obéis au courant, par le désir poussé, Et je vole à mon but comme un grand trait liquide Qu'un bras invisible a lancé. Océan, ô mon père ! Ouvre ton sein, j'arrive ! Tes flots tumultueux m'ont déjà répondu ; Ils accourent ; mon onde a reculé, craintive, Devant leur accueil éperdu. En ton lit mugissant ton amour nous rassemble. Autour des noirs écueils ou sur le sable fin Nous allons, confondus, recommencer ensemble Nos fureurs et nos jeux sans fin. Mais le soleil, baissant vers toi son œil splendide, M'a découvert bientôt dans tes gouffres amers. Son rayon tout puissant baise mon front limpide : J'ai repris le chemin des airs ! Ainsi, jamais d'arrêt. L'immortelle matière Un seul instant encor n'a pu se reposer. La Nature ne fait, patiente ouvrière, Que dissoudre et recomposer. Tout se métamorphose entre ses mains actives ; Partout le mouvement incessant et divers, Dans le cercle éternel des formes fugitives, Agitant l'immense univers.
Grâce au hasard qui sur nous règne en maître, Ici nos pas ont pu se rencontrer. Je pars demain, et pour jamais peut-être Dans son caprice il va nous séparer. Si les conseils que ma bouche inconnue A prodigués à votre jeune foi N'ont point glissé sur votre âme ingénue, Ma chère enfant, souvenez-vous de moi. J'ai vingt-cinq ans, et beaucoup sont fanées Parmi les fleurs de mon heureux printemps. Vous, sur vos doigts vous comptez vos années Et d'avenir vos jours sont éclatants. Pourquoi vit-on ? Vous l'ignorez encore... Longtemps déjà j'ai creusé ce pourquoi. Que mon matin vaille au moins votre aurore ! Ma chère enfant, souvenez-vous de moi. Tout est plaisir pour votre belle enfance, Tout, excepté l'ennui d'une leçon. Mais à grands pas la jeunesse s'avance ; A ce forban il faut payer rançon. Bien des soucis vous viendront avec elle ! Des passions vous subirez la loi. Sous le fardeau si votre cœur chancelé, Ma chère enfant, sou venez-vous de moi. De votre vie, heureuse et pacifique, Rien ne pourra jamais troubler le cours. Trop loin de vous souffle la politique Noir ouragan qui bat nos plus beaux jours. D'un père allez retrouver la tendresse ; Moi, je retourne au procureur du roi : Ce tendre père a des fers pour caresse... Ma chère enfant, souvenez-vous de moi. Heureux l'ami dont le nom se conserve Au cœur de ceux dont il pressa la main ! Qui sait le sort que le temps nous réserve, Et les écueils mis sur notre chemin ? Il se peut bien que plus tard je regrette Les calmes jours écoulés près de toi ; En quelque lieu que le destin te jette, Ma chère enfant, souviens-toi bien de moi.