Poème faire - 73 Poèmes sur faire
73 poèmes
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Phonétique (Cliquez pour la liste complète) : éphore éphores faire far farad faraud fard fardé faro faros fars fart farté féerie féeries fer fera féra ferai ferais ferait feras féras férié fériée fériées fériés férir ferra ...
Paroles d’un Amant de Louise Ackermann
Au courant de l'amour lorsque je m'abandonne,
Dans le torrent divin quand je plonge enivré,
Et presse éperdument sur mon sein qui frissonne
Un être idolâtre.
Je sais que je n'étreins qu'une forme fragile,
Qu'elle peut à l'instant se glacer sous ma main,
Que ce cœur tout à moi, fait de flamme et d'argile,
Sera cendre demain ;
Qu'il n'en sortira rien, rien, pas une étincelle
Qui s'élance et remonte à son foyer lointain :
Un peu de terre en hâte, une pierre qu'on scelle,
Et tout est bien éteint.
Et l'on viendrait serein, à cette heure dernière,
Quand des restes humains le souffle a déserté,
Devant ces froids débris, devant cette poussière
Parler d'éternité !
L'éternité ! Quelle est cette étrange menace ?
A l'amant qui gémit, sous son deuil écrase,
Pourquoi jeter ce mot qui terrifie et glace
Un cœur déjà brisé ?
Quoi ! le ciel, en dépit de la fosse profonde,
S'ouvrirait à l'objet de mon amour jaloux ?
C'est assez d'un tombeau, je ne veux pas d'un monde
Se dressant entre nous.
On me répond en vain pour calmer mes alarmes !
« L'être dont sans pitié la mort te sépara,
Ce ciel que tu maudis, dans le trouble et les larmes,
Le ciel te le rendra. »
Me le rendre, grand Dieu ! mais ceint d'une auréole,
Rempli d'autres pensers, brûlant d'une autre ardeur,
N'ayant plus rien en soi de cette chère idole
Qui vivait sur mon cœur !
Ah! j'aime mieux cent fois que tout meure avec elle,
Ne pas la retrouver, ne jamais la revoir ;
La douleur qui me navre est certes moins cruelle
Que votre affreux espoir.
Tant que je sens encor, sous ma moindre caresse,
Un sein vivant frémir et battre à coups pressés,
Qu'au-dessus du néant un même flot d'ivresse
Nous soulève enlacés,
Sans regret inutile et sans plaintes amères,
Par la réalité je me laisse ravir.
Non, mon cœur ne s'est pas jeté sur des chimères :
Il sait où s'assouvir.
Qu'ai-je affaire vraiment de votre là-haut morne,
Moi qui ne suis qu'élan, que tendresse et transports ?
Mon ciel est ici-bas, grand ouvert et sans borne ;
Je m'y lance, âme et corps.
Durer n'est rien. Nature, ô créatrice, ô mère !
Quand sous ton œil divin un couple s'est uni,
Qu'importe à leur amour qu'il se sache éphémère
S'il se sent infini ?
C'est une volupté, mais terrible et sublime,
De jeter dans le vide un regard éperdu,
Et l'on s'étreint plus fort lorsque sur un abîme
On se voit suspendu.
Quand la Mort serait là, quand l'attache invisible
Soudain se délierait qui nous retient encor,
Et quand je sentirais dans une angoisse horrible
M'échapper mon trésor,
Je ne faiblirais pas. Fort de ma douleur même,
Tout entier à l'adieu qui va nous séparer,
J'aurais assez d'amour en cet instant suprême
Pour ne rien espérer.
L’Homme à la Nature de Louise Ackermann
Eh bien ! reprends-le donc ce peu de fange obscure
Qui pour quelques instants s'anima sous ta main ;
Dans ton dédain superbe, implacable Nature,
Brise à jamais le moule humain.
De ces tristes débris quand tu verrais, ravie,
D'autres créations éclore à grands essaims,
Ton Idée éclater en des formes de vie
Plus dociles à tes desseins,
Est-ce à dire que Lui, ton espoir, ta chimère,
Parce qu'il fut rêvé, puisse un jour exister ?
Tu crois avoir conçu, tu voudrais être mère ;
A l'œuvre ! il s'agit d'enfanter.
Change en réalité ton attente sublime.
Mais quoi ! pour les franchir, malgré tous tes élans,
La distance est trop grande et trop profond l'abîme
Entre ta pensée et tes flancs.
La mort est le seul fruit qu'en tes crises futures
Il te sera donné d'atteindre et de cueillir ;
Toujours nouveaux débris, toujours des créatures
Que tu devras ensevelir.
Car sur ta route en vain l'âge à l'âge succède ;
Les tombes, les berceaux ont beau s'accumuler,
L'Idéal qui te fuit, l'Ideal qui t'obsède,
A l'infini pour reculer.
L'objet de ta poursuite éternelle et sans trêve
Demeure un but trompeur à ton vol impuissant
Et, sous le nimbe ardent du désir et du rêve,
N'est qu'un fantôme éblouissant.
Il resplendit de loin, mais reste inaccessible.
Prodigue de travaux, de luttes, de trépas,
Ta main me sacrifie à ce fils impossible ;
Je meurs, et Lui ne naîtra pas.
Pourtant je suis ton fils aussi ; réel, vivace,
Je sortis de tes bras des les siècles lointains ;
Je porte dans mon cœur, je porte sur ma face,
Le signe empreint des hauts destins.
Un avenir sans fin s'ouvrait ; dans la carrière
Le Progrès sur ses pas me pressait d'avancer ;
Tu n'aurais même encor qu'à lever la barrière :
Je suis là, prêt à m'élancer.
Je serais ton sillon ou ton foyer intense ;
Tu peux selon ton gré m'ouvrir ou m'allumer.
Une unique étincelle, ô mère ! une semence !
Tout s'enflamme ou tout va germer.
Ne suis-je point encor seul à te trouver belle ?
J'ai compté tes trésors, j'atteste ton pouvoir,
Et mon intelligence, ô Nature éternelle !
T'a tendu ton premier miroir.
En retour je n'obtiens que dédain et qu'offense.
Oui, toujours au péril et dans les vains combats !
Éperdu sur ton sein, sans recours ni défense,
Je m'exaspère et me débats.
Ah ! si du moins ma force eût égalé ma rage,
Je l'aurais déchiré ce sein dur et muet :
Se rendant aux assauts de mon ardeur sauvage,
Il m'aurait livré son secret.
C'en est fait, je succombe, et quand tu dis : « J'aspire ! »
Je te réponds : « Je souffre ! » infirme, ensanglanté ;
Et par tout ce qui naît , par tout ce qui respire,
Ce cri terrible est répété.
Oui, je souffre ! et c'est toi, mère, qui m'extermines,
Tantôt frappant mes flancs, tantôt blessant mon cœur ;
Mon être tout entier, par toutes ses racines,
Plonge sans fond dans la douleur.
J'offre sous le soleil un lugubre spectacle.
Ne naissant, ne vivant que pour agoniser.
L'abîme s'ouvre ici, là se dresse l'obstacle :
Ou m'engloutir, ou me briser !
Mais, jusque sous le coup du désastre suprême,
Moi, l'homme, je t'accuse à la face des cieux.
Créatrice, en plein front reçois donc l'anathème
De cet atome audacieux.
Sois maudite, ô marâtre ! en tes œuvres immenses,
Oui, maudite à ta source et dans tes éléments,
Pour tous tes abandons, tes oublis, tes démences,
Aussi pour tes avortements !
Que la Force en ton sein s'épuise perte à perte !
Que la Matière, à bout de nerf et de ressort,
Reste sans mouvement, et se refuse, inerte,
A te suivre dans ton essor !
Qu'envahissant les cieux, I'Immobilité morne
Sous un voile funèbre éteigne tout flambeau,
Puisque d'un univers magnifique et sans borne
Tu n'as su faire qu'un tombeau !
La guerre de Louise Ackermann
I
Du fer, du feu, du sang ! C'est elle ! c'est la Guerre
Debout, le bras levé, superbe en sa colère,
Animant le combat d'un geste souverain.
Aux éclats de sa voix s'ébranlent les armées ;
Autour d'elle traçant des lignes enflammées,
Les canons ont ouvert leurs entrailles d'airain.
Partout chars, cavaliers, chevaux, masse mouvante !
En ce flux et reflux, sur cette mer vivante,
A son appel ardent l'épouvante s'abat.
Sous sa main qui frémit, en ses desseins féroces,
Pour aider et fournir aux massacres atroces
Toute matière est arme, et tout homme soldat.
Puis, quand elle a repu ses yeux et ses oreilles
De spectacles navrants, de rumeurs sans pareilles,
Quand un peuple agonise en son tombeau couché,
Pâle sous ses lauriers, l'âme d'orgueil remplie,
Devant l'œuvre achevée et la tâche accomplie,
Triomphante elle crie à la Mort: « Bien fauché ! »
Oui, bien fauché ! Vraiment la récolte est superbe ;
Pas un sillon qui n'ait des cadavres pour gerbe !
Les plus beaux, les plus forts sont les premiers frappés.
Sur son sein dévasté qui saigne et qui frissonne
L'Humanité, semblable au champ que l'on moissonne,
Contemple avec douleur tous ces épis coupés.
Hélas ! au gré du vent et sous sa douce haleine
Ils ondulaient au loin, des coteaux à la plaine,
Sur la tige encor verte attendant leur saison.
Le soleil leur versait ses rayons magnifiques ;
Riches de leur trésor, sous les cieux pacifiques,
Ils auraient pu mûrir pour une autre moisson.
II
Si vivre c'est lutter, à l'humaine énergie
Pourquoi n'ouvrir jamais qu'une arène rougie ?
Pour un prix moins sanglant que les morts que voilà
L'homme ne pourrait-il concourir et combattre ?
Manque-t-il d'ennemis qu'il serait beau d'abattre ?
Le malheureux ! il cherche, et la Misère est là !
Qu'il lui crie : « A nous deux ! » et que sa main virile
S'acharne sans merci contre ce flanc stérile
Qu'il s'agit avant tout d'atteindre et de percer.
A leur tour, le front haut, l'Ignorance et le Vice,
L'un sur l'autre appuyé, l'attendent dans la lice :
Qu'il y descende donc, et pour les terrasser.
A la lutte entraînez les nations entières.
Délivrance partout ! effaçant les frontières,
Unissez vos élans et tendez-vous la main.
Dans les rangs ennemis et vers un but unique,
Pour faire avec succès sa trouée héroïque,
Certes ce n'est pas trop de tout l'effort humain.
L'heure semblait propice, et le penseur candide
Croyait, dans le lointain d'une aurore splendide,
Voir de la Paix déjà poindre le front tremblant.
On respirait. Soudain, la trompette à la bouche,
Guerre, tu reparais, plus âpre, plus farouche,
Écrasant le progrès sous ton talon sanglant.
C'est à qui le premier, aveuglé de furie,
Se précipitera vers l'immense tuerie.
A mort ! point de quartier ! L'emporter ou périr!
Cet inconnu qui vient des champs ou de la forge
Est un frère ; il fallait l'embrasser, - on l'égorge.
Quoi ! lever pour frapper des bras faits pour s'ouvrir !
Les hameaux, les cités s'écroulent dans les flammes.
Les pierres ont souffert ; mais que dire des âmes ?
Près des pères les fils gisent inanimés.
Le Deuil sombre est assis devant les foyers vides,
Car ces monceaux de morts, inertes et livides,
Étaient des cœurs aimants et des êtres aimés.
Affaiblis et ployant sous la tâche infinie,
Recommence, Travail ! rallume-toi, Génie !
Le fruit de vos labeurs est broyé, dispersé.
Mais quoi ! tous ces trésors ne formaient qu'un domaine ;
C'était le bien commun de la famille humaine,
Se ruiner soi-même, ah ! c'est être insensé !
Guerre, au seul souvenir des maux que tu déchaînes,
Fermente au fond des cœurs le vieux levain des haines ;
Dans le limon laissé par tes flots ravageurs
Des germes sont semés de rancune et de rage,
Et le vaincu n'a plus, dévorant son outrage,
Qu'un désir, qu'un espoir : enfanter des vengeurs.
Ainsi le genre humain, à force de revanches,
Arbre découronné, verra mourir ses branches,
Adieu, printemps futurs ! Adieu, soleils nouveaux !
En ce tronc mutilé la sève est impossible.
Plus d'ombre, plus de fleurs ! et ta hache inflexible,
Pour mieux frapper les fruits, a tranché les rameaux.
III
Non, ce n'est point à nous, penseur et chantre austère,
De nier les grandeurs de la mort volontaire ;
D'un élan généreux il est beau d'y courir.
Philosophes, savants, explorateurs, apôtres,
Soldats de l'Idéal, ces héros sont les nôtres :
Guerre ! ils sauront sans toi trouver pour qui mourir.
Mais à ce fier brutal qui frappe et qui mutile,
Aux exploits destructeurs, au trépas inutile,
Ferme dans mon horreur, toujours je dirai : « Non ! »
O vous que l'Art enivre ou quelque noble envie,
Qui, débordant d'amour, fleurissez pour la vie,
On ose vous jeter en pâture au canon !
Liberté, Droit, Justice, affaire de mitraille !
Pour un lambeau d'Etat, pour un pan de muraille,
Sans pitié, sans remords, un peuple est massacré.
- Mais il est innocent ! - Qu'importe ? On l'extermine.
Pourtant la vie humaine est de source divine :
N'y touchez pas, arrière ! Un homme, c'est sacré !
Sous des vapeurs de poudre et de sang, quand les astres
Pâlissent indignés parmi tant de désastres,
Moi-même à la fureur me laissant emporter,
Je ne distingue plus les bourreaux des victimes ;
Mon âme se soulève, et devant de tels crimes
Je voudrais être foudre et pouvoir éclater.
Du moins te poursuivant jusqu'en pleine victoire,
A travers tes lauriers, dans les bras de l'Histoire
Qui, séduite, pourrait t'absoudre et te sacrer,
O Guerre, Guerre impie, assassin qu'on encense,
Je resterai, navrée et dans mon impuissance,
Bouche pour te maudire, et cœur pour t'exécrer !
Les Malheureux de Louise Ackermann
La trompette a sonné. Des tombes entr'ouvertes
Les pâles habitants ont tout à coup frémi.
Ils se lèvent, laissant ces demeures désertes
Où dans l'ombre et la paix leur poussière a dormi.
Quelgues morts cependant sont restés immobiles ;
Ils ont tout entendu, mais le divin clairon
Ni l'ange qui les presse à ces derniers asiles
Ne les arracheront.
« Quoi ! renaître ! revoir le ciel et la lumière,
Ces témoins d'un malheur qui n'est point oublié,
Eux qui sur nos douleurs et sur notre misère
Ont souri sans pitié !
Non, non ! Plutôt la Nuit, la Nuit sombre, éternelle !
Fille du vieux Chaos, garde-nous sous ton aile.
Et toi, sœur du Sommeil, toi qui nous as bercés,
Mort, ne nous livre pas ; contre ton sein fidèle
Tiens-nous bien embrassés.
Ah! l'heure où tu parus est à jamais bénie ;
Sur notre front meurtri que ton baiser fut doux !
Quand tout nous rejetait, le néant et la vie,
Tes bras compatissants, ô notre unique amie !
Se sont ouverts pour nous.
Nous arrivions à toi, venant d'un long voyage,
Battus par tous les vents, haletants, harassés.
L'Espérance elle-même, au plus fort de l'orage,
Nous avait délaissés.
Nous n'avions rencontré que désespoir et doute,
Perdus parmi les flots d'un monde indifférent ;
Où d'autres s'arrêtaient enchantés sur la route,
Nous errions en pleurant.
Près de nous la Jeunesse a passé, les mains vides,
Sans nous avoir fêtés, sans nous avoir souri.
Les sources de l'amour sous nos lèvres avides,
Comme une eau fugitive, au printemps ont tari.
Dans nos sentiers brûlés pas une fleur ouverte.
Si, pour aider nos pas, quelque soutien chéri
Parfois s'offrait à nous sur la route déserte,
Lorsque nous les touchions, nos appuis se brisaient :
Tout devenait roseau quand nos cœurs s'y posaient.
Au gouffre que pour nous creusait la Destinée
Une invisible main nous poussait acharnée.
Comme un bourreau, craignant de nous voir échapper,
A nos côtés marchait le Malheur inflexible.
Nous portions une plaie à chaque endroit sensible,
Et l'aveugle Hasard savait où nous frapper.
Peut-être aurions-nous droit aux celestes délices ;
Non ! ce n'est point à nous de redouter l'enfer,
Car nos fautes n'ont pas mérité de supplices :
Si nous avons failli, nous avons tant souffert !
Eh bien, nous renonçons même à cette espérance
D'entrer dans ton royaume et de voir tes splendeurs,
Seigneur ! nous refusons jusqu'à ta récompense,
Et nous ne voulons pas du prix de nos douleurs.
Nous le savons, tu peux donner encor des ailes
Aux âmes qui ployaient sous un fardeau trop lourd ;
Tu peux, lorsqu'il te plaît, loin des sphères mortelles,
Les élever à toi dans la grâce et l'amour ;
Tu peux, parmi les chœurs qui chantent tes louanges,
A tes pieds, sous tes yeux, nous mettre au premier rang,
Nous faire couronner par la main de tes anges,
Nous revêtir de gloire en nous transfigurant.
Tu peux nous pénétrer d'une vigueur nouvelle,
Nous rendre le désir que nous avions perdu…
Oui, mais le Souvenir, cette ronce immortelle
Attachée à nos cœurs, l'en arracheras-tu ?
Quand de tes chérubins la phalange sacrée
Nous saluerait élus en ouvrant les saints lieux,
Nous leur crierions bientôt d'une voix éplorée :
« Nous élus ? nous heureux ? Mais regardez nos yeux !
Les pleurs y sont encor, pleurs amers, pleurs sans nombre.
Ah ! quoi que vous fassiez, ce voile épais et sombre
Nous obscurcit vos cieux. »
Contre leur gré pourqoui ranimer nos poussières ?
Que t'en reviendra-t-il ? et que t'ont-elles fait ?
Tes dons mêmes, après tant d'horribles misères,
Ne sont plus un bienfait.
Au ! tu frappas trop fort en ta fureur cruelle.
Tu l'entends, tu le vois ! la Souffrance a vaincu.
Dans un sommeil sans fin, ô puissance éternelle !
Laisse-nous oublier que nous avons vécu.
À une artiste de Louise Ackermann
Puisque les plus heureux ont des douleurs sans nombre,
Puisque le sol est froid, puisque les cieux sont lourds,
Puisque l'homme ici-bas promène son coeur sombre
Parmi les vains regrets et les courtes amours,
Que faire de la vie ? Ô notre âme immortelle,
Où jeter tes désirs et tes élans secrets ?
Tu voudrais posséder, mais ici tout chancelle ;
Tu veux aimer toujours, mais la tombe est si près !
Le meilleur est encore en quelque étude austère
De s'enfermer, ainsi qu'en un monde enchanté,
Et dans l'art bien aimé de contempler sur terre,
Sous un de ses aspects, l'éternelle beauté.
Artiste au front serein, vous l'avez su comprendre,
Vous qu'entre tous les arts le plus doux captiva,
Qui l'entourez de foi, de culte, d'amour tendre,
Lorsque la foi, le culte et l'amour, tout s'en va.
Ah ! tandis que pour nous, qui tombons de faiblesse
Et manquons de flambeau dans l'ombre de nos jours,
Chaque pas à sa ronce où notre pied se blesse,
Dans votre frais sentier marchez, marchez toujours.
Marchez ! pour que le ciel vous aime et vous sourie,
Pour y songer vous-même avec un saint plaisir,
Et tromper, le cœur plein de votre idolâtrie,
L'éternelle douleur et l'immense désir.
L'improvisation de Agénor Altaroche
Des vers, à loi, rimeur intarissable ?
A toi des vers ? C'est un projet de fou !
C'est au désert jeter un grain de sable ;
Sur le rocher c'est poser un caillou.
N'ai-je pas vu ma muse trop rebelle
A mes désirs souvent se refuser ?
Or, pour parler ta langue maternelle,
Il faut improviser.
Improviser, c'est le premier mérite,
Le vrai trésor, l'inestimable bien,
En notre siècle où celui qui fait vite
A plus de prix que celui qui fait bien.
Heureux qui sait faire vite et bien faire !
Avec cet art à tout l'on peut viser.
De lui naquit ton succès populaire ;
Tu sus l'improviser !
Peu d'élus ont ce talent en partage.
Ils l'ignoraient, nos tuteurs des trois jours,
Oui, de juillet saisissant l'héritage,
Ont du torrent si bien réglé le cours.
Depuis qu'ils ont remis tout à sa place,
Si le pays n'est que plus divisé,
C'est qu'oubliant le précepte d'Horace,
Ils ont improvisé.
Un gros banquier qui ne prête qu'à douze,
A, l'an dernier, serré le doux lien.
Avant six mois, sa diligente épouse
Donne à l'Etat un petit citoyen.
Le financier d'abord éclate et peste ;
Puis il médite, et bientôt ravisé,
« Diable, dit-il, ma femme est un peu leste !
Aurais-je improvisé ? »
Si le secret de ton art poétique
Aux dieux du monde était du moins livré !
Société, mœurs, lois et politique,
Tout a besoin d'être régénéré.
Des exploitants en vain l'absurde foule
Nous dit : « Le temps peut seul organiser. »
— Badauds, arrière ! autour de vous tout croule.
Il faut improviser.
Mes souhaits de bonne année de Agénor Altaroche
Encore un premier jour de l'an
Que le temps nous apporte !
Cette date donne l'élan
Aux vœux de toute sorte.
Puissiez-vous, gais et bien portants,
Quand reviendra la fête,
En faire encore après cent ans...
Oui, je vous le souhaite !
Ménages où l'on voit lié
Le printemps et l'automne,
Vieux maris, près de vos moitiés
Que jeunesse aiguillonne,
A bon droit, vous en attendez
Fidélité parfaite,
Pur amour, serments bien gardés...
Oui, je vous en souhaite !
Que de badauds ambitieux,
Pour s'enrichir plus vite,
Chez nous plongent à qui mieux mieux
En pleine commandite !
Toute action pour spéculer
Leur est de bonne emplette ;
Les dividendes vont grêler...
Oui, je leur en souhaite !
La liberté devra beaucoup
A la nouvelle Chambre.
On va te limer sur son cou
Vil carcan de septembre !
Source de salutaires lois,
La Réforme complète
Même au génie offre des droits...
Oui, je vous en souhaite !
Nos diplomates couards et mous,
Que partout on brocarde,
Au lieu de se mettre à genou,
Sauront se mettre en garde.
Le coq du peuple souverain
Redressera sa crête,
Le long des frontières du Rhin...
Oui, je le lui souhaite !
On promet des amendements
A nos taxes trop dures ;
On sape les gros traitements,
Les grasses sinécures.
L'Amérique sur nos écus
N'enverra plus de traite ;
Les princes ne quêteront plus...
Oui, je vous en souhaite !
Notre théâtre n'est plus veuf
Veuf de la tragédie.
Il en naît une à l'esprit neuf,
A la sphère agrandie.
Dumas de sa mémoire l'eût,
C'est Ida qui l'allaite,
Et l'art en attend son salut...
Oui, je le lui souhaite !
Qui trop embrasse mal étreint,
Nous dit un vieil adage,
Je vais d'un souhait plus restreint
Français, vous faire hommage.
Par les complots qu'on voit pleuvoir,
Puisse dans sa couchette
Chacun de vous dormir ce soir...
Oui, je vous le souhaite !
Ça dépend du prix qu'on y met de Agénor Altaroche
Le Commerce enfante à la ronde
Les produits les plus merveilleux;
Le trafic est la loi du monde,
La chaîne des temps et des lieux.
La vente est publique ou secrète ;
Mais, hors les œuvres de Viennet,
Tout ici bas se vend, s'achète...
Ça dépend du prix qu'on y met.
Mondor est fier de sa croix neuve.
Ce Mondor s'est donc fait un nom ?
Nullement.
Il a donc fait preuve de courage ou de talent? --- Non.
Mais il est riche, et sa main jette
Tout l'or que sa bouche promet...
Il aura bientôt la rosette,
Ça dépend du prix qu'on y met.
La jeune Lise se retranche
Dans sa vertueuse rigueur.
Un doigt touche à peine sa manche,
Qu'elle proteste avec vigueur.
Un richard s'offre à la rebelle ;
Sur un mot d'ordre elle l'admet.
Il prend tout, la manche et la belle...
Ça dépend du prix qu'on y met.
Certain orateur dynastique
Tonne, de toute la hauteur
De son éloquence élastique,
Contre un régime corrupteur.
Qu'un mot dans l'oreille on lui glisse,
Un rhume opportun le soumet
Au régime.... de la réglisse.
Ça dépend du prix qu'on y met.
Caroline errait en Vendée
A travers buissons et périls.
Des rois la fille bien gardée
Échappait à nos alguazils.
Thiers, plus fin, à sa piste en voie
Une bourse au lieu d'un plumet.
Dans huit jours il aura sa proie...
Ça dépend du prix qu'on y met.
Oyez tous les ans nos ministres;
« Pour arrêter dans son essor
L'anarchie aux projets sinistres,
Il nous faut des millions encor.
Trois millions... elle est expulsée,
Notre zèle vous le promet.
Un de plus, elle est écrasée...
Ça dépend du prix qu'on y met. »
Indépendant de contrebande,
Un auteur des plus abondants
Livre, par ordre et sur commande,
De fort mauvais Indépendants.
C'est qu'il attend maigre salaire
De la pratique qui commet.
Payé mieux, il eût su mieux faire...
Ça dépend du prix qu'on y met.
Il n'est rien que l'or ne procure :
Succès dramatiques, pouvoir,
Noblesse, esprit, beauté, droiture,
Places, rang, louanges, savoir,
Serments saints, dévouements austères
Que d'un prince à l'autre on transmet,
Majorités parlementaires...
Ça dépend du prix qu'on y met.
Le Commerce, hors les temps de crises
Où parfois à court il est pris,
Offre à tout prix des marchandises ,
Des gouvernements à tout prix.
Toile ou roi, ministre ou faïence, Demandez... On vous en remet
Pour votre argent en conscience...
Ça dépend du prix qu'on y met.
La chanson n'est pas morte de Agénor Altaroche
Un rimeur de couplets comiques,
De la folle et vive chanson
Aux oreilles académiques
A fait la funèbre oraison.
Ingrat, à peine à son aurore,
Au tombeau déjà tu l'attends !
La chanson n'est pas morte encore,
La chanson doit vivre longtemps !
« La chanson flagelle les traîtres
Et les pillards du bien d'autrui ;
Du peuple elle fronde les maîtres ;
Qu'aurait-elle à faire aujourd'hui ?...»
Ce beau programme qui l'honore
Lui promet des jours éclatants.
La chanson n'est pas morte encore,
La chanson doit vivre longtemps !
Dans sa mission vengeresse
N'est-il point de vitupérer
Ceux qui violent la promesse
Qu'on les vit eux-mêmes jurer ?
Oui, s'il faut qu'elle remémore
Leurs serments à nos exploitants,
La chanson n'est pas morte encore,
La chanson doit vivre longtemps !
La censure aux prudes alarmes
Veut, dans un étroit horizon,
Borner l'esprit par des gendarmes,
Des amendes et la prison.
Crois-tu que la rouille dévore
Les ciseaux de ses noirs Tristans ?
La chanson n'est pas morte encore,
La chanson doit vivre longtemps !
Et cette jeune et belle armée
Dont ils compriment la valeur ;
Une bourgade consumée
Suffit-elle à sa noble ardeur ?
Il faut au drapeau tricolore
Des triomphes plus méritants ;
La chanson n'est pas morte encore,
La chanson doit vivre longtemps !
Il faut bien que la chanson fronde,
Implacable comme un remord,
Certaine Thémis moribonde
Qui rêva des arrêts de mort.
Lorsqu'on livre à ce Minotaure,
De jeunes et forts combattants,
La chanson n'est pas morte encore,
La chanson doit vivre longtemps !
La muse que tu nous enterres
A-t-elle fini de compter
Les gros péchés des mandataires
Qui disent nous représenter ;
Les pots-de-vin dont se décore
La cave de tous nos traitants ?
La chanson n'est pas morte encore,
La chanson doit vivre longtemps.
Pour que la chanson vive, il reste
A ses traits plus d'un autre but.
Livre lui l'exorde modeste
Des orateurs de l'Institut.
Tout nouvel entrant y redore
Le faux galon des charlatans.
La chanson n'est pas morte encore,
La chanson doit vivre longtemps.
Que serais-je sans toi de Louis Aragon
Que
serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
J'ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j'ai vu désormais le monde à ta façon
J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson.
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu'il fait jour à midi, qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne
Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux
Tu m'as pris par la main comme un amant heureux.
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes
N'est-ce pas un sanglot que la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues.
Terre, terre, voici ses rades inconnues.
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
Je sais je sais Tout est à faire
Dans ce siècle où la mort campait
Et va voir dans la stratosphère
Si c'est la paix
Éteint ici là-bas qui couve
Le feu court on voit bien comment
Quelqu'un toujours donne à la louve
Un logement
Quelqu'un toujours quelque part rêve
Sur la table d'être le poing
Et sous le manteau de la trêve
Il fait le point
[...]
C'est la paix qui force le crime
À s'agenouiller dans l'aveu
Et qui crie avec les victimes
Cessez le feu
Est-ce ainsi que les hommes vivent de Louis Aragon
Tout
est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.
Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.
C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.
Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
L'Idéal de Charles Baudelaire
Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.
Je laisse à Gavarni, poète des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.
Ce qu'il faut à ce cœur profond comme un abîme,
C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans ;
Ou bien toi, grande nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans !
Le mauvais moine de Charles Baudelaire
Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles
Étalaient en tableaux la sainte vérité,
Dont l'effet, réchauffant les pieuses entrailles,
Tempérait la froideur de leur austérité.
En ces temps où du Christ florissaient les semailles,
Plus d'un illustre moine, aujourd'hui peu cité,
Prenant pour atelier le champ des funérailles,
Glorifiait la mort avec simplicité.
- Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite,
Depuis l'éternité je parcours et j'habite ;
Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux.
Ô moine fainéant ! Quand saurai-je donc faire
Du spectacle vivant de ma triste misère
Le travail de mes mains et l'amour de mes yeux ?
Bénédiction de Charles Baudelaire
Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le poète apparaît dans ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :
- Ah ! Que n'ai-je mis bas tout un nœud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision !
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation !
Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,
Je ferai rejaillir la haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés !
Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
Elle-même prépare au fond de la Géhenne
Les bûchers consacrés aux crimes maternels.
Pourtant, sous la tutelle invisible d'un ange,
L'enfant déshérité s'enivre de soleil,
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.
Il joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s'enivre en chantant du chemin de la croix ;
Et l'esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité,
Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur férocité.
Dans le pain et le vin destinés à sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats ;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.
Sa femme va criant sur les places publiques :
Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,
Je ferai le métier des idoles antiques,
Et comme elles je veux me faire redorer ;
Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe,
De génuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un cœur qui m'admire
Usurper en riant les hommages divins !
Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frêle et forte main ;
Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,
Sauront jusqu'à son cœur se frayer un chemin.
Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'arracherai ce cœur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bête favorite,
Je le lui jetterai par terre avec dédain !
Vers le ciel, où son œil voit un trône splendide,
Le poète serein lève ses bras pieux,
Et les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobent l'aspect des peuples furieux :
- Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aux saintes voluptés !
Je sais que vous gardez une place au poète
Dans les rangs bienheureux des saintes légions,
Et que vous l'invitez à l'éternelle fête
Des trônes, des vertus, des dominations.
Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique
Imposer tous les temps et tous les univers.
Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,
Les métaux inconnus, les perles de la mer,
Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
À ce beau diadème éblouissant et clair ;
Car il ne sera fait que de pure lumière,
Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs !
La muse vénale de Charles Baudelaire
Ô muse de mon cœur, amante des palais,
Auras-tu quand janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l'or des voûtes azurées ?
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de chœur, jouer de l'encensoir,
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
Puisqu'il le faut de Eugène Emile Paul Grindel, dit Paul Eluard
Dans le lit plein ton corps se simplifie
Sexe liquide univers de liqueur
Liant des flots qui sont autant de corps
Entiers complets de la nuque aux talons
Grappe sans peau grappe-mère en travail
Grappe servile et luisante de sang
Entre les seins les cuisses et les fesses
Régentant l'ombre et creusant la chaleur
Lèvre étendue à l'horizon du lit
Sans une éponge pour happer la nuit
Et sans sommeil pour imiter la mort.
Frapper la femme monstre de sagesse
Captiver l'homme à force de patience
Doucer la femme pour éteindre l'homme
Tout contrefaire afin de tout réduire
Autant rêver d'être seul et aveugle.
Je n'ai de cœur qu'en mon front douloureux.
L'après-midi nous attendions l'orage
Il éclatait lorsque la nuit tombait
Et les abeilles saccageaient la ruche
Puis de nos mains tremblantes maladroites
Nous allumions par habitude un feu
La nuit tournait autour de sa prunelle
Et nous disions je t'aime pour y voir.
Le temps comblé la langue au tiers parfum
Se retenait au bord de chaque bouche
Comme un mourant au bord de son salut
Jouer jouir n'était plus enlacés
Du sol montait un corps bien terre à terre
L'ordre gagnait et le désir pesait
Branche maîtresse n'aimait plus le vent
Par la faute d'un corps sourd
Par la faute d'un corps mort
D'un corps injuste et dément.
Rien que des chansons de Louise Rose Etiennette Gérard, dite Rosemonde Gérard
Pour
faire une chanson nouvelle,
On peut demander à l’oiseau
Le secret d’une ritournelle
Et le mystère d’un scherzo ;
On peut aussi prendre une lyre,
Ajouter quelques fleurs autour,
Un clair de lune et des sourires…
Mais tout ça ne peut pas suffire
Pour faire une chanson d’amour.
Pour faire une chanson qui naisse,
Et survivre à tous les étés,
Il faut connaître la caresse
Dont le cœur semble s’arrêter ;
Il faut connaître la torture
D’attendre, jusqu’au bout du jour,
Une trop chère créature…
C’est le cœur qui bat la mesure
Pour faire une chanson d’amour.
Pour faire une chanson qui tremble,
Et chante avec des vrais soupirs,
Il faut avoir cru, tout ensemble,
Cent fois vivre et cent fois mourir;
Souvenirs aux fleurs défleuries,
Frissons d’un soir, baisers d’un jour…
Valse de flamme et de folie…
Il faut avoir donné sa vie
Pour faire une chanson d’amour !
Le Lion et le Moucheron de Jean de La Fontaine
" Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre ! "
C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.
" Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie ?
Un bœuf est plus puissant que toi :
Je le mène à ma fantaisie. "
A peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large ;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit ; on se cache, on tremble à l'environ :
Et cette alarme universelle
Est l'ouvrage d'un moucheron.
Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle :
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat : le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée ;
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
Les Frelons et les Mouches à miel de Jean de La Fontaine
A l'œuvre on connaît l'artisan.
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :
Des frelons les réclamèrent ;
Des abeilles s'opposant,
Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose :
Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi ? dans les frelons
Ces enseignes étaient pareilles.
La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière
Le point n'en put être éclairci.
" De grâce, à quoi bon tout ceci ?
Dit une abeille fort prudente.
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours ?
Sans tant de contredits, et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous :
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties. "
Le refus des frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir ;
Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès :
Que de Turcs en cela l'on suivît la méthode !
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code :
Il ne faudrait point tant de frais ;
Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs ;
On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs
Les Loups et les Brebis de Jean de La Fontaine
Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'était apparemment le bien des deux partis ;
Car si les loups mangeaient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisaient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,
Ni d'autre part pour les carnages :
Ils ne pouvaient jouir qu'en tremblant de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des otages :
Les loups, leurs louveteaux ; et les brebis, leurs chiens.
L'échange en étant fait aux formes ordinaires,
Et réglé par des commissaires,
Au bout de quelque temps que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits et friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étaient pas,
Étranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.
Ils avaient averti leurs gens secrètement.
Les chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,
Furent étranglés en dormant :
Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux ; un seul n'en échappa.
Nous pouvons conclure de là
Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi ;
J'en conviens ; mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi ?
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