Poème simulacre - 2 Poèmes sur simulacre
2 poèmes
Phonétique : simulacre simulacres
Plus sur ce poème | Commenter le poème | Imprimer le poèmeFrappe encor, Jupiter, accable-moi, mutile
L'ennemi terrassé que tu sais impuissant !
Écraser n'est pas vaincre, et ta foudre inutile
S'éteindra dans mon sang,
Avant d'avoir dompté l'héroïque pensée
Qui fait du vieux Titan un révolté divin ;
C'est elle qui te brave, et ta rage insensée
N'a cloué sur ces monts qu'un simulacre vain.
Tes coups n'auront porté que sur un peu d'argile ;
Libre dans les liens de cette chair fragile,
L'âme de Prométhée échappe à ta fureur.
Sous l'ongle du vautour qui sans fin me dévore,
Un invisible amour fait palpiter encore
Les lambeaux de mon cœur.
Si ces pics désolés que la tempête assiège
Ont vu couler parfois sur leur manteau de neige
Des larmes que mes yeux ne pouvaient retenir,
Vous le savez, rochers, immuables murailles
Que d'horreur cependant je sentais tressaillir,
La source de mes pleurs était dans mes entrailles ;
C'est la compassion qui les a fait jaillir.
Ce n'était point assez de mon propre martyre ;
Ces flancs ouverts, ce sein qu'un bras divin déchire
Est rempli de pitié pour d'autres malheureux.
Je les vois engager une lutte éternelle ;
L'image horrible est là ; j'ai devant la prunelle
La vision des maux qui vont fondre sur eux.
Ce spectacle navrant m'obsède et m'exaspère.
Supplice intolérable et toujours renaissant,
Mon vrai, mon seul vautour, c'est la pensée amère
Que rien n'arrachera ces germes de misére
Que ta haine a semés dans leur chair et leur sang.
Pourtant, ô Jupiter, l'homme est ta créature ;
C'est toi qui l'as conçu, c'est toi qui l'as formé,
Cet être déplorable, infirme, désarmé,
Pour qui tout est danger, épouvante, torture,
Qui, dans le cercle étroit de ses jours enfermé,
Étouffe et se débat, se blesse et se lamente.
Ah ! quand tu le jetas sur la terre inclémente,
Tu savais quels fléaux l'y devaient assaillir,
Qu'on lui disputerait sa place et sa pâture,
Qu'un souffle l'abattrait, que l'aveugle Nature
Dans son indifférence allait l'ensevelir.
Je l'ai trouvé blotti sous quelque roche humide,
Ou rampant dans les bois, spectre hâve et timide
Qui n'entendait partout que gronder et rugir,
Seul affamé, seul triste au grand banquet des êtres,
Du fond des eaux, du sein des profondeurs champêtres
Tremblant toujours de voir un ennemi surgir.
Mais quoi ! sur cet objet de ta haine immortelle,
Imprudent que j'étais, je me suis attendri ;
J'allumai la pensée et jetai l'étincelle
Dans cet obscur limon dont tu l'avais pétri.
Il n'était qu'ébauché, j'achevai ton ouvrage.
Plein d'espoir et d'audace, en mes vastes desseins
J'aurais sans hésiter mis les cieux au pillage,
Pour le doter après du fruit de mes larcins.
Je t'ai ravi le feu ; de conquête en conquête
J'arrachais de tes mains ton sceptre révéré.
Grand Dieu ! ta foudre à temps éclata sur ma tête ;
Encore un attentat, l'homme était délivré !
La voici donc ma faute, exécrable et sublime.
Compatir, quel forfait ! Se dévouer, quel crime !
Quoi ! j'aurais, impuni, défiant tes rigueurs,
Ouvert aux opprimés mes bras libérateurs ?
Insensé ! m'être ému quand la pitié s'expie !
Pourtant c'est Prométhée, oui, c'est ce même impie
Qui naguère t'aidait à vaincre les Titans.
J'étais à tes côtés dans l'ardente mêlée ;
Tandis que mes conseils guidaient les combattants,
Mes coups faisaient trembler la demeure étoilée.
Il s'agissait pour moi du sort de l'univers :
Je voulais en finir avec les dieux pervers.
Ton règne allait m'ouvrir cette ère pacifique
Que mon cœur transporté saluait de ses vœux.
En son cours éthéré le soleil magnifique
N'aurait plus éclairé que des êtres heureux.
La Terreur s'enfuyait en écartant les ombres
Qui voilaient ton sourire ineffable et clément,
Et le réseau d'airain des Nécessités sombres
Se brisait de lui-même aux pieds d'un maître aimant.
Tout était joie, amour, essor, efflorescence ;
Lui-même Dieu n'était que le rayonnement
De la toute-bonté dans la toute-puissance.
O mes désirs trompés ! O songe évanoui !
Des splendeurs d'un tel rêve, encor l'œil ébloui,
Me retrouver devant l'iniquité céleste.
Devant un Dieu jaloux qui frappe et qui déteste,
Et dans mon désespoir me dire avec horreur :
« Celui qui pouvait tout a voulu la douleur ! »
Mais ne t'abuse point ! Sur ce roc solitaire
Tu ne me verras pas succomber en entier.
Un esprit de révolte a transformé la terre,
Et j'ai dès aujourd'hui choisi mon héritier.
Il poursuivra mon œuvre en marchant sur ma trace,
Né qu'il est comme moi pour tenter et souffrir.
Aux humains affranchis je lègue mon audace,
Héritage sacré qui ne peut plus périr.
La raison s'affermit, le doute est prêt à naître.
Enhardis à ce point d'interroger leur maître,
Des mortels devant eux oseront te citer :
Pourquoi leurs maux ? Pourquoi ton caprice et ta haine ?
Oui, ton juge t'attend, - la conscience humaine ;
Elle ne peut t'absoudre et va te rejeter.
Le voilà, ce vengeur promis à ma détresse !
Ah ! quel souffle épuré d'amour et d'allégresse
En traversant le monde enivrera mon cœur
Le jour où, moins hardie encor que magnanime,
Au lieu de l'accuser, ton auguste victime
Niera son oppresseur !
Délivré de la Foi comme d'un mauvais rêve,
L'homme répudiera les tyrans immortels,
Et n'ira plus, en proie à des terreurs sans trêve,
Se courber lâchement au pied de tes autels.
Las de le trouver sourd, il croira le ciel vide.
Jetant sur toi son voile éternel et splendide,
La Nature déjà te cache à son regard ;
Il ne découvrira dans l'univers sans borne,
Pour tout Dieu désormais, qu'un couple aveugle et morne,
La Force et le Hasard.
Montre-toi, Jupiter, éclate alors, fulmine,
Contre ce fugitif à ton joug échappé !
Refusant dans ses maux de voir ta main divine,
Par un pouvoir fatal il se dira frappé.
Il tombera sans peur, sans plainte, sans prière ;
Et quand tu donnerais ton aigle et ton tonnerre
Pour l'entendre pousser, au fort de son tourment,
Un seul cri qui t'atteste, une injure, un blasphème,
Il restera muet : ce silence suprême
Sera ton châtiment.
Tu n'auras plus que moi dans ton immense empire
Pour croire encore en toi, funeste Déité.
Plutôt nier le jour ou l'air que je respire
Que ta puissance inique et que ta cruauté.
Perdu dans cet azur, sur ces hauteurs sublimes,
Ah ! j'ai vu de trop près tes fureurs et tes crimes ;
J'ai sous tes coups déjà trop souffert, trop saigné ;
Le doute est impossible à mon cœur indigné.
Oui ! tandis que du Mal, œuvre de ta colère,
Renonçant désormais à sonder le mystère,
L'esprit humain ailleurs portera son flambeau,
Seul je saurai le mot de cette énigme obscure,
Et j'aurai reconnu, pour comble de torture,
Un Dieu dans mon bourreau.
Prométhée
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Plus sur ce poème | Commenter le poème | Imprimer le poèmeJ'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
Ô la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !
Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu'une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?
Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m'enlaçait.
Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l'antique murmure
A bercé mes beaux jours.
Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m'attendiez-vous pas ?
Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !
Je ne viens point jeter un regret inutile
Dans l'écho de ces bois témoins de mon bonheur.
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Et fier aussi mon cœur.
Que celui-là se livre à des plaintes amères,
Qui s'agenouille et prie au tombeau d'un ami.
Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières
Ne poussent point ici.
Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
Et tu t'épanouis.
Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour;
Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie
Sort mon ancien amour.
Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ?
Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant;
Et rien qu'en regardant cette vallée amie
Je redeviens enfant.
Ô puissance du temps ! ô légères années !
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets;
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Vous ne marchez jamais.
Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice !
Je n'aurais jamais cru que l'on pût tant souffrir
D'une telle blessure, et que sa cicatrice
Fût si douce à sentir.
Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
Que viennent étaler sur leurs amours passées
Ceux qui n'ont point aimé !
Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère
Qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t'a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?
En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ?
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
Est-ce toi qui l'as dit ?
Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'éclaire,
Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur.
Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Plus vrai que le bonheur.
Eh quoi ! l'infortuné qui trouve une étincelle
Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle
Ses regards éblouis ;
Dans ce passé perdu quand son âme se noie,
Sur ce miroir brisé lorsqu'il rêve en pleurant,
Tu lui dis qu'il se trompe, et que sa faible joie
N'est qu'un affreux tourment !
Et c'est à ta Françoise, à ton ange de gloire,
Que tu pouvais donner ces mots à prononcer,
Elle qui s'interrompt, pour conter son histoire,
D'un éternel baiser !
Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,
Et qui pourra jamais aimer la vérité,
S'il n'est joie ou douleur si juste et si certaine
Dont quelqu'un n'ait douté ?
Comment vivez-vous donc, étranges créatures ?
Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas;
Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures
Ne vous dérangent pas ;
Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène
Vers quelque monument d'un amour oublié,
Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine
Qu'il vous heurte le pied.
Et vous criez alors que la vie est un songe ;
Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,
Et vous trouvez fâcheux qu'un si joyeux mensonge
Ne dure qu'un instant.
Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie
A secoué les fers qu'elle traîne ici-bas,
Ce fugitif instant fut toute votre vie ;
Ne le regrettez pas !
Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
Vos agitations dans la fange et le sang,
Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière
C'est là qu'est le néant !
Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ?
Que demandent au ciel ces regrets inconstants
Que vous allez semant sur vos propres ruines,
À chaque pas du Temps ?
Oui, sans doute, tout meurt; ce monde est un grand rêve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n'avons pas plus tôt ce roseau dans la main,
Que le vent nous l'enlève.
Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments
Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
Ce fut au pied d'un arbre effeuillé par les vents,
Sur un roc en poussière.
Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
Et des astres sans nom que leur propre lumière
Dévore incessamment.
Tout mourait autour d'eux, l'oiseau dans le feuillage,
La fleur entre leurs mains, l'insecte sous leurs pieds,
La source desséchée où vacillait l'image
De leurs traits oubliés ;
Et sur tous ces débris joignant leurs mains d'argile,
Étourdis des éclairs d'un instant de plaisir,
Ils croyaient échapper à cet Être immobile
Qui regarde mourir !
- Insensés ! dit le sage ? Heureux ! dit le poète.
Et quels tristes amours as-tu donc dans le cœur,
Si le bruit du torrent te trouble et t'inquiète,
Si le vent te fait peur ?
J'ai vu sous le soleil tomber bien d'autres choses
Que les feuilles des bois et l'écume des eaux,
Bien d'autres s'en aller que le parfum des roses
Et le chant des oiseaux.
Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
Que Juliette morte au fond de son tombeau,
Plus affreux que le toast à l'ange des ténèbres
Porté par Roméo.
J'ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère,
Devenue elle-même un sépulcre blanchi,
Une tombe vivante où flottait la poussière
De notre mort chéri,
De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde,
Nous avions sur nos cœurs si doucement bercé !
C'était plus qu'une vie, hélas ! c'était un monde
Qui s'était effacé !
Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire,
Je l'ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois.
Ses lèvres s'entrouvraient, et c'était un sourire,
Et c'était une voix ;
Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,
Ces regards adorés dans les miens confondus;
Mon cœur, encor plein d'elle, errait sur son visage,
Et ne la trouvait plus.
Et pourtant j'aurais pu marcher alors vers elle,
Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
Et j'aurais pu crier : Qu'as-tu fait, infidèle,
Qu'as-tu fait du passé ?
Mais non : il me semblait qu'une femme inconnue
Avait pris par hasard cette voix et ces yeux;
Et je laissai passer cette froide statue
En regardant les cieux.
Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère
Que ce riant adieu d'un être inanimé.
Eh bien ! qu'importe encore ? Ô nature ! ô ma mère !
En ai-je moins aimé ?
La foudre maintenant peut tomber sur ma tête ;
Jamais ce souvenir ne peut m'être arraché !
Comme le matelot brisé par la tempête,
Je m'y tiens attaché.
Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent ;
Ni ce qu'il adviendra du simulacre humain,
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Ce qu'ils ensevelissent.
Je me dis seulement : À cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle.
J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
Et je l'emporte à Dieu !
Souvenir
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