Poésie française
À M. Louis de Ronchaud I Regardez-les passer, ces couples éphémères ! Dans les bras l'un de l'autre enlacés un moment, Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières, Font le même serment : Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent Avec étonnement entendent prononcer, Et qu'osent répéter des lèvres qui pâlissent Et qui vont se glacer. Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse Qu'un élan d'espérance arrache à votre coeur, Vain défi qu'au néant vous jetez, dans l'ivresse D'un instant de bonheur ? Amants, autour de vous une voix inflexible Crie à tout ce qui naît : « Aime et meurs ici-bas ! » La mort est implacable et le ciel insensible ; Vous n'échapperez pas. Eh bien ! puisqu'il le faut, sans trouble et sans murmure, Forts de ce même amour dont vous vous enivrez Et perdus dans le sein de l'immense Nature, Aimez donc, et mourez ! II Non, non, tout n'est pas dit, vers la beauté fragile Quand un charme invincible emporte le désir, Sous le feu d'un baiser quand notre pauvre argile A frémi de plaisir. Notre serment sacré part d'une âme immortelle ; C'est elle qui s'émeut quand frissonne le corps ; Nous entendons sa voix et le bruit de son aile Jusque dans nos transports. Nous le répétons donc, ce mot qui fait d'envie Pâlir au firmament les astres radieux, Ce mot qui joint les coeurs et devient, dès la vie, Leur lien pour les cieux. Dans le ravissement d'une éternelle étreinte Ils passent entraînés, ces couples amoureux, Et ne s'arrêtent pas pour jeter avec crainte Un regard autour d'eux. Ils demeurent sereins quand tout s'écroule et tombe ; Leur espoir est leur joie et leur appui divin ; Ils ne trébuchent point lorsque contre une tombe Leur pied heurte en chemin. Toi-même, quand tes bois abritent leur délire, Quand tu couvres de fleurs et d'ombre leurs sentiers, Nature, toi leur mère, aurais-tu ce sourire S'ils mouraient tout entiers ? Sous le voile léger de la beauté mortelle Trouver l'âme qu'on cherche et qui pour nous éclôt, Le temps de l'entrevoir, de s'écrier : « C'est Elle ! » Et la perdre aussitôt, Et la perdre à jamais ! Cette seule pensée Change en spectre à nos yeux l'image de l'amour. Quoi ! ces voeux infinis, cette ardeur insensée Pour un être d'un jour ! Et toi, serais-tu donc à ce point sans entrailles, Grand Dieu qui dois d'en haut tout entendre et tout voir, Que tant d'adieux navrants et tant de funérailles Ne puissent t'émouvoir, Qu'à cette tombe obscure où tu nous fais descendre Tu dises : « Garde-les, leurs cris sont superflus. Amèrement en vain l'on pleure sur leur cendre ; Tu ne les rendras plus ! » Mais non ! Dieu qu'on dit bon, tu permets qu'on espère ; Unir pour séparer, ce n'est point ton dessein. Tout ce qui s'est aimé, fût-ce un jour, sur la terre, Va s'aimer dans ton sein. III Éternité de l'homme, illusion ! chimère ! Mensonge de l'amour et de l'orgueil humain ! Il n'a point eu d'hier, ce fantôme éphémère, Il lui faut un demain ! Pour cet éclair de vie et pour cette étincelle Qui brûle une minute en vos coeurs étonnés, Vous oubliez soudain la fange maternelle Et vos destins bornés. Vous échapperiez donc, ô rêveurs téméraires Seuls au Pouvoir fatal qui détruit en créant ? Quittez un tel espoir ; tous les limons sont frères En face du néant. Vous dites à la Nuit qui passe dans ses voiles : « J'aime, et j'espère voir expirer tes flambeaux. » La Nuit ne répond rien, mais demain ses étoiles Luiront sur vos tombeaux. Vous croyez que l'amour dont l'âpre feu vous presse A réservé pour vous sa flamme et ses rayons ; La fleur que vous brisez soupire avec ivresse : « Nous aussi nous aimons ! » Heureux, vous aspirez la grande âme invisible Qui remplit tout, les bois, les champs de ses ardeurs ; La Nature sourit, mais elle est insensible : Que lui font vos bonheurs ? Elle n'a qu'un désir, la marâtre immortelle, C'est d'enfanter toujours, sans fin, sans trêve, encor. Mère avide, elle a pris l'éternité pour elle, Et vous laisse la mort. Toute sa prévoyance est pour ce qui va naître ; Le reste est confondu dans un suprême oubli. Vous, vous avez aimé, vous pouvez disparaître : Son voeu s'est accompli. Quand un souffle d'amour traverse vos poitrines, Sur des flots de bonheur vous tenant suspendus, Aux pieds de la Beauté lorsque des mains divines Vous jettent éperdus ; Quand, pressant sur ce coeur qui va bientôt s'éteindre Un autre objet souffrant, forme vaine ici-bas, Il vous semble, mortels, que vous allez étreindre L'Infini dans vos bras ; Ces délires sacrés, ces désirs sans mesure Déchaînés dans vos flancs comme d'ardents essaims, Ces transports, c'est déjà l'Humanité future Qui s'agite en vos seins. Elle se dissoudra, cette argile légère Qu'ont émue un instant la joie et la douleur ; Les vents vont disperser cette noble poussière Qui fut jadis un coeur. Mais d'autres coeurs naîtront qui renoueront la trame De vos espoirs brisés, de vos amours éteints, Perpétuant vos pleurs, vos rêves, votre flamme, Dans les âges lointains. Tous les êtres, formant une chaîne éternelle, Se passent, en courant, le flambeau de l'amour. Chacun rapidement prend la torche immortelle Et la rend à son tour. Aveuglés par l'éclat de sa lumière errante, Vous jurez, dans la nuit où le sort vous plongea, De la tenir toujours : à votre main mourante Elle échappe déjà. Du moins vous aurez vu luire un éclair sublime ; Il aura sillonné votre vie un moment ; En tombant vous pourrez emporter dans l'abîme Votre éblouissement. Et quand il régnerait au fond du ciel paisible Un être sans pitié qui contemplât souffrir, Si son oeil éternel considère, impassible, Le naître et le mourir, Sur le bord de la tombe, et sous ce regard même, Qu'un mouvement d'amour soit encor votre adieu ! Oui, faites voir combien l'homme est grand lorsqu'il aime, Et pardonnez à Dieu !
Il est donc vrai ? Je garde en quittant la patrie, Ô profonde douleur ! un coeur indifférent. Pas de regard aimé, pas d'image chérie, Dont mon oeil au départ se détache en pleurant. Ainsi partent tous ceux que le désespoir sombre Dans quelque monde à part pousse à se renfermer, Qui, voyant l'homme faible et les jours remplis d'ombre, Ne se sont pas senti le courage d'aimer. Pourtant, Dieu m'est témoin, j'aurais voulu sur terre Rassembler tout mon coeur autour d'un grand amour, Joindre à quelque destin mon destin solitaire, Me donner sans regret, sans crainte, sans retour. Aussi ne croyez pas qu'avec indifférence Je contemple s'éteindre, au plus beau de mes jours, Des bonheurs d'ici-bas la riante espérance : Bien que le coeur soit mort, on en souffre toujours.
Dans le lit plein ton corps se simplifie Sexe liquide univers de liqueur Liant des flots qui sont autant de corps Entiers complets de la nuque aux talons Grappe sans peau grappe-mère en travail Grappe servile et luisante de sang Entre les seins les cuisses et les fesses Régentant l'ombre et creusant la chaleur Lèvre étendue à l'horizon du lit Sans une éponge pour happer la nuit Et sans sommeil pour imiter la mort. Frapper la femme monstre de sagesse Captiver l'homme à force de patience Doucer la femme pour éteindre l'homme Tout contrefaire afin de tout réduire Autant rêver d'être seul et aveugle. Je n'ai de cœur qu'en mon front douloureux. L'après-midi nous attendions l'orage Il éclatait lorsque la nuit tombait Et les abeilles saccageaient la ruche Puis de nos mains tremblantes maladroites Nous allumions par habitude un feu La nuit tournait autour de sa prunelle Et nous disions je t'aime pour y voir. Le temps comblé la langue au tiers parfum Se retenait au bord de chaque bouche Comme un mourant au bord de son salut Jouer jouir n'était plus enlacés Du sol montait un corps bien terre à terre L'ordre gagnait et le désir pesait Branche maîtresse n'aimait plus le vent Par la faute d'un corps sourd Par la faute d'un corps mort D'un corps injuste et dément.
Entre tous mes tourments entre la mort et moi Entre mon désespoir et la raison de vivre Il y a l'injustice et ce malheur des hommes Que je ne peux admettre il y a ma colère Il y a les maquis couleur de sang d'Espagne Il y a les maquis couleur du ciel de Grèce Le pain le sang le ciel et le droit à l'espoir Pour tous les innocents qui haïssent le mal La lumière toujours est tout près de s'éteindre La vie toujours s'apprête à devenir fumier Mais le printemps renaît qui n'en a pas fini Un bourgeon sort du noir et la chaleur s'installe Et la chaleur aura raison des égoïstes Leurs sens atrophiés n'y résisteront pas J'entends le feu parler en riant de tiédeur J'entends un homme dire qu'il n'a pas souffert Toi qui fus de ma chair la conscience sensible Toi que j'aime à jamais toi qui m'as inventé Tu ne supportais pas l'oppression ni l'injure Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre Tu rêvais d'être libre et je te continue.
Toi la seule et j'entends les herbes de ton rire Toi c'est la tête qui t'enlève Et du haut des dangers de mort Sur les globes brouillés de pluie des vallées Sous la lumière lourde sous le ciel de terre Tu enfantes la chute. Les oiseaux ne sont plus un abri suffisant Ni la paresse ni la fatigue Le souvenir des bois et des ruisseaux fragiles Au matin des caprices Au matin des caresses visibles Au grand matin de l'absence la chute. Les barques de tes yeux s'égarent Dans la dentelle des disparitions Le gouffre est dévoilé aux autres de l'éteindre Les ombres que tu crées n'ont pas droit à la nuit.
Toi la seule et j’entends les herbes de ton rire Toi c’est la tête qui t’enlève Et du haut des dangers de mort Sur les globes brouillés de pluie des vallées Sous la lumière lourde sous le ciel de terre Tu enfantes la chute. Les oiseaux ne sont plus un abri suffisant Ni la paresse ni la fatigue Le souvenir des bois et des ruisseaux fragiles Au matin des caprices Au matin des caresses visibles Au grand matin de l’absence la chute. Les barques de tes yeux s’égarent Dans la dentelle des disparitions Le gouffre est dévoilé aux autres de l’éteindre Les ombres que tu crées n’ont pas droit à la nuit.
Ami parmi tous les amis, De quoi voudrions-nous nous plaindre ? Aucun destin n'est compromis Si l'amitié n'a pu s'éteindre. Tu penses que seuls les amants, Par la hâte et par les délices, Ignorent le dolent supplice De l'immense désoeuvrement; Crois-tu que les corps et les bouches Rendent le bonheur plus entier ? La passion, dès qu'on y touche Et qu'on l'observe, fait pitié ! - Accepte d'un coeur moins farouche La tristesse de l'amitié...