Poème nuit+ - 81 Poèmes sur nuit+
81 poèmes
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L’Amour et la Mort de Louise Ackermann
À M. Louis de Ronchaud
I
Regardez-les passer, ces couples éphémères !
Dans les bras l'un de l'autre enlacés un moment,
Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières,
Font le même serment :
Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent
Avec étonnement entendent prononcer,
Et qu'osent répéter des lèvres qui pâlissent
Et qui vont se glacer.
Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse
Qu'un élan d'espérance arrache à votre coeur,
Vain défi qu'au néant vous jetez, dans l'ivresse
D'un instant de bonheur ?
Amants, autour de vous une voix inflexible
Crie à tout ce qui naît : « Aime et meurs ici-bas ! »
La mort est implacable et le ciel insensible ;
Vous n'échapperez pas.
Eh bien ! puisqu'il le faut, sans trouble et sans murmure,
Forts de ce même amour dont vous vous enivrez
Et perdus dans le sein de l'immense Nature,
Aimez donc, et mourez !
II
Non, non, tout n'est pas dit, vers la beauté fragile
Quand un charme invincible emporte le désir,
Sous le feu d'un baiser quand notre pauvre argile
A frémi de plaisir.
Notre serment sacré part d'une âme immortelle ;
C'est elle qui s'émeut quand frissonne le corps ;
Nous entendons sa voix et le bruit de son aile
Jusque dans nos transports.
Nous le répétons donc, ce mot qui fait d'envie
Pâlir au firmament les astres radieux,
Ce mot qui joint les coeurs et devient, dès la vie,
Leur lien pour les cieux.
Dans le ravissement d'une éternelle étreinte
Ils passent entraînés, ces couples amoureux,
Et ne s'arrêtent pas pour jeter avec crainte
Un regard autour d'eux.
Ils demeurent sereins quand tout s'écroule et tombe ;
Leur espoir est leur joie et leur appui divin ;
Ils ne trébuchent point lorsque contre une tombe
Leur pied heurte en chemin.
Toi-même, quand tes bois abritent leur délire,
Quand tu couvres de fleurs et d'ombre leurs sentiers,
Nature, toi leur mère, aurais-tu ce sourire
S'ils mouraient tout entiers ?
Sous le voile léger de la beauté mortelle
Trouver l'âme qu'on cherche et qui pour nous éclôt,
Le temps de l'entrevoir, de s'écrier : « C'est Elle ! »
Et la perdre aussitôt,
Et la perdre à jamais ! Cette seule pensée
Change en spectre à nos yeux l'image de l'amour.
Quoi ! ces voeux infinis, cette ardeur insensée
Pour un être d'un jour !
Et toi, serais-tu donc à ce point sans entrailles,
Grand Dieu qui dois d'en haut tout entendre et tout voir,
Que tant d'adieux navrants et tant de funérailles
Ne puissent t'émouvoir,
Qu'à cette tombe obscure où tu nous fais descendre
Tu dises : « Garde-les, leurs cris sont superflus.
Amèrement en vain l'on pleure sur leur cendre ;
Tu ne les rendras plus ! »
Mais non ! Dieu qu'on dit bon, tu permets qu'on espère ;
Unir pour séparer, ce n'est point ton dessein.
Tout ce qui s'est aimé, fût-ce un jour, sur la terre,
Va s'aimer dans ton sein.
III
Éternité de l'homme, illusion ! chimère !
Mensonge de l'amour et de l'orgueil humain !
Il n'a point eu d'hier, ce fantôme éphémère,
Il lui faut un demain !
Pour cet éclair de vie et pour cette étincelle
Qui brûle une minute en vos coeurs étonnés,
Vous oubliez soudain la fange maternelle
Et vos destins bornés.
Vous échapperiez donc, ô rêveurs téméraires
Seuls au Pouvoir fatal qui détruit en créant ?
Quittez un tel espoir ; tous les limons sont frères
En face du néant.
Vous dites à la Nuit qui passe dans ses voiles :
« J'aime, et j'espère voir expirer tes flambeaux. »
La Nuit ne répond rien, mais demain ses étoiles
Luiront sur vos tombeaux.
Vous croyez que l'amour dont l'âpre feu vous presse
A réservé pour vous sa flamme et ses rayons ;
La fleur que vous brisez soupire avec ivresse :
« Nous aussi nous aimons ! »
Heureux, vous aspirez la grande âme invisible
Qui remplit tout, les bois, les champs de ses ardeurs ;
La Nature sourit, mais elle est insensible :
Que lui font vos bonheurs ?
Elle n'a qu'un désir, la marâtre immortelle,
C'est d'enfanter toujours, sans fin, sans trêve, encor.
Mère avide, elle a pris l'éternité pour elle,
Et vous laisse la mort.
Toute sa prévoyance est pour ce qui va naître ;
Le reste est confondu dans un suprême oubli.
Vous, vous avez aimé, vous pouvez disparaître :
Son voeu s'est accompli.
Quand un souffle d'amour traverse vos poitrines,
Sur des flots de bonheur vous tenant suspendus,
Aux pieds de la Beauté lorsque des mains divines
Vous jettent éperdus ;
Quand, pressant sur ce coeur qui va bientôt s'éteindre
Un autre objet souffrant, forme vaine ici-bas,
Il vous semble, mortels, que vous allez étreindre
L'Infini dans vos bras ;
Ces délires sacrés, ces désirs sans mesure
Déchaînés dans vos flancs comme d'ardents essaims,
Ces transports, c'est déjà l'Humanité future
Qui s'agite en vos seins.
Elle se dissoudra, cette argile légère
Qu'ont émue un instant la joie et la douleur ;
Les vents vont disperser cette noble poussière
Qui fut jadis un coeur.
Mais d'autres coeurs naîtront qui renoueront la trame
De vos espoirs brisés, de vos amours éteints,
Perpétuant vos pleurs, vos rêves, votre flamme,
Dans les âges lointains.
Tous les êtres, formant une chaîne éternelle,
Se passent, en courant, le flambeau de l'amour.
Chacun rapidement prend la torche immortelle
Et la rend à son tour.
Aveuglés par l'éclat de sa lumière errante,
Vous jurez, dans la nuit où le sort vous plongea,
De la tenir toujours : à votre main mourante
Elle échappe déjà.
Du moins vous aurez vu luire un éclair sublime ;
Il aura sillonné votre vie un moment ;
En tombant vous pourrez emporter dans l'abîme
Votre éblouissement.
Et quand il régnerait au fond du ciel paisible
Un être sans pitié qui contemplât souffrir,
Si son oeil éternel considère, impassible,
Le naître et le mourir,
Sur le bord de la tombe, et sous ce regard même,
Qu'un mouvement d'amour soit encor votre adieu !
Oui, faites voir combien l'homme est grand lorsqu'il aime,
Et pardonnez à Dieu !
Élan mystique de Louise Ackermann
Alors j'avais quinze ans. Au sein des nuits sans voiles,
Je m'arrêtais pour voir voyager les étoiles
Et contemplais trembler, à l'horizon lointain,
Des flots où leur clarté jouait jusqu'au matin.
Un immense besoin de divine harmonie
M'entraînait malgré moi vers la sphère infinie,
Tant il est vrai qu'ici cet autre astre immortel,
L'âme, gravite aussi vers un centre éternel.
Mais, tandis que la nuit marchait au fond des cieux,
Des pensers me venaient, graves, silencieux,
D'avenir large et beau, de grande destinée,
D'amour à naître encor, de mission donnée,
Vague image, pour moi, pareille aux flots lointains
De la brume où nageaient mes regards incertains.
— Aujourd'hui tout est su ; la destinée austère
N'a plus devant mes yeux d'ombre ni de mystère,
Et la vie, avant même un lustre révolu,
Garde à peine un feuillet qui n'ait pas été lu.
Humble et fragile enfant, cachant en moi ma flamme,
J'ai tout interrogé dans les choses de l'âme.
L'amour, d'abord. Jamais, le coeur endolori,
Je n'ai dit ce beau nom sans en avoir souri.
Puis j'ai soudé la gloire, autre rêve enchanté,
Dans l'être d'un moment instinct d'éternité !
Mais pour moi sur la terre, où l'âme s'est ternie,
Tout s'imprégnait d'un goût d'amertume infinie.
Alors, vers le Seigneur me retournant d'effroi,
Comme un enfant en pleurs, j'osai crier : « Prends-moi !
Prends-moi, car j'ai besoin, par delà toute chose,
D'un grand et saint espoir où mon coeur se repose,
D'une idée où mon âme, à qui l'avenir ment,
S'enferme et trouve enfin un terme à son tourment. »
La lampe d'Héro de Louise Ackermann
De son bonheur furtif lorsque malgré l'orage
L'amant d'Héro courait s'enivrer loin du jour,
Et dans la nuit tentait de gagner à la nage
Le bord où l'attendait l'Amour,
Une lampe envoyait, vigilante et fidèle,
En ce péril vers lui son rayon vacillant ;
On eût dit dans les cieux quelque étoile immortelle
Oui dévoilait son front tremblant.
La mer a beau mugir et heurter ses rivages,
Les vents au sein des airs déchaîner leur effort,
Les oiseaux effrayés pousser des cris sauvages
En voyant approcher la Mort,
Tant que du haut sommet de la tour solitaire
Brille le signe aimé sur l'abîme en fureur,
Il ne sentira point, le nageur téméraire,
Défaillir son bras ni son coeur.
Comme à l'heure sinistre où la mer en sa rage
Menaçait d'engloutir cet enfant d'Abydos,
Autour de nous dans l'ombre un éternel orage
Fait gronder et bondir les flots.
Remplissant l'air au loin de ses clameurs funèbres,
Chaque vague en passant nous entr'ouvre un tombeau ;
Dans les mêmes dangers et les mêmes ténèbres
Nous avons le même flambeau.
Le pâle et doux rayon tremble encor dans la brume.
Le vent l'assaille en vain, vainement les flots sourds
La dérobent parfois sous un voile d'écume,
La clarté reparaît toujours.
Et nous, les yeux levés vers la lueur lointaine,
Nous fendons pleins d'espoir les vagues en courroux ;
Au bord du gouffre ouvert la lumière incertaine
Semble d'en haut veiller sur nous.
Ô phare de l'Amour ! qui dans la nuit profonde
Nous guides à travers les écueils d'ici-bas,
Toi que nous voyons luire entre le ciel et l'onde,
Lampe d'Héro, ne t'éteins pas !
Endymion de Louise Ackermann
Endymion s'endort sur le mont solitaire,
Lui que Phœbé la nuit visite avec mystère,
Qu'elle adore en secret, un enfant, un pasteur.
Il est timide et fier, il est discret comme elle ;
Un charme grave au choix d'une amante immortelle
A désigné son front rêveur.
C'est lui qu'elle cherchait sur la vaste bruyère
Quand, sortant du nuage où tremblait sa lumière,
Elle jetait au loin un regard calme et pur,
Quand elle abandonnait jusqu'à son dernier voile,
Tandis qu'à ses côtés une pensive étoile
Scintillait dans l'éther obscur.
Ô Phœbé ! le vallon, les bois et la colline
Dorment enveloppés dans ta pâleur divine ;
À peine au pied des monts flotte un léger brouillard.
Si l'air a des soupirs, ils ne sont point sensibles ;
Le lac dans le lointain berce ses eaux paisibles
Qui s'argentent sous ton regard.
Non, ton amour n'a pas cette ardeur qui consume.
Si quelquefois, le soir, quand ton flambeau s'allume,
Ton amant te contemple avant de s'endormir,
Nul éclat qui l'aveugle, aucun feu qui l'embrase ;
Rien ne trouble sa paix ni son heureuse extase ;
Tu l'éclaires sans l'éblouir.
Tu n'as pour le baiser que ton rayon timide,
Qui vers lui mollement glisse dans l'air humide,
Et sur sa lèvre pâle expire sans témoin.
Jamais le beau pasteur, objet de ta tendresse,
Ne te rendra, Phœbé, ta furtive caresse,
Qu'il reçoit, mais qu'il ne sent point.
Il va dormir ainsi sous la voûte étoilée
Jusqu'à l'heure où la nuit, frissonnante et voilée,
Disparaîtra des cieux t'entraînant sur ses pas.
Peut-être en s'éveillant te verra-t-il encore
Qui, t'effaçant devant les rougeurs de l'aurore,
Dans ta fuite lui souriras.
Les Malheureux de Louise Ackermann
La trompette a sonné. Des tombes entr'ouvertes
Les pâles habitants ont tout à coup frémi.
Ils se lèvent, laissant ces demeures désertes
Où dans l'ombre et la paix leur poussière a dormi.
Quelgues morts cependant sont restés immobiles ;
Ils ont tout entendu, mais le divin clairon
Ni l'ange qui les presse à ces derniers asiles
Ne les arracheront.
« Quoi ! renaître ! revoir le ciel et la lumière,
Ces témoins d'un malheur qui n'est point oublié,
Eux qui sur nos douleurs et sur notre misère
Ont souri sans pitié !
Non, non ! Plutôt la Nuit, la Nuit sombre, éternelle !
Fille du vieux Chaos, garde-nous sous ton aile.
Et toi, sœur du Sommeil, toi qui nous as bercés,
Mort, ne nous livre pas ; contre ton sein fidèle
Tiens-nous bien embrassés.
Ah! l'heure où tu parus est à jamais bénie ;
Sur notre front meurtri que ton baiser fut doux !
Quand tout nous rejetait, le néant et la vie,
Tes bras compatissants, ô notre unique amie !
Se sont ouverts pour nous.
Nous arrivions à toi, venant d'un long voyage,
Battus par tous les vents, haletants, harassés.
L'Espérance elle-même, au plus fort de l'orage,
Nous avait délaissés.
Nous n'avions rencontré que désespoir et doute,
Perdus parmi les flots d'un monde indifférent ;
Où d'autres s'arrêtaient enchantés sur la route,
Nous errions en pleurant.
Près de nous la Jeunesse a passé, les mains vides,
Sans nous avoir fêtés, sans nous avoir souri.
Les sources de l'amour sous nos lèvres avides,
Comme une eau fugitive, au printemps ont tari.
Dans nos sentiers brûlés pas une fleur ouverte.
Si, pour aider nos pas, quelque soutien chéri
Parfois s'offrait à nous sur la route déserte,
Lorsque nous les touchions, nos appuis se brisaient :
Tout devenait roseau quand nos cœurs s'y posaient.
Au gouffre que pour nous creusait la Destinée
Une invisible main nous poussait acharnée.
Comme un bourreau, craignant de nous voir échapper,
A nos côtés marchait le Malheur inflexible.
Nous portions une plaie à chaque endroit sensible,
Et l'aveugle Hasard savait où nous frapper.
Peut-être aurions-nous droit aux celestes délices ;
Non ! ce n'est point à nous de redouter l'enfer,
Car nos fautes n'ont pas mérité de supplices :
Si nous avons failli, nous avons tant souffert !
Eh bien, nous renonçons même à cette espérance
D'entrer dans ton royaume et de voir tes splendeurs,
Seigneur ! nous refusons jusqu'à ta récompense,
Et nous ne voulons pas du prix de nos douleurs.
Nous le savons, tu peux donner encor des ailes
Aux âmes qui ployaient sous un fardeau trop lourd ;
Tu peux, lorsqu'il te plaît, loin des sphères mortelles,
Les élever à toi dans la grâce et l'amour ;
Tu peux, parmi les chœurs qui chantent tes louanges,
A tes pieds, sous tes yeux, nous mettre au premier rang,
Nous faire couronner par la main de tes anges,
Nous revêtir de gloire en nous transfigurant.
Tu peux nous pénétrer d'une vigueur nouvelle,
Nous rendre le désir que nous avions perdu…
Oui, mais le Souvenir, cette ronce immortelle
Attachée à nos cœurs, l'en arracheras-tu ?
Quand de tes chérubins la phalange sacrée
Nous saluerait élus en ouvrant les saints lieux,
Nous leur crierions bientôt d'une voix éplorée :
« Nous élus ? nous heureux ? Mais regardez nos yeux !
Les pleurs y sont encor, pleurs amers, pleurs sans nombre.
Ah ! quoi que vous fassiez, ce voile épais et sombre
Nous obscurcit vos cieux. »
Contre leur gré pourqoui ranimer nos poussières ?
Que t'en reviendra-t-il ? et que t'ont-elles fait ?
Tes dons mêmes, après tant d'horribles misères,
Ne sont plus un bienfait.
Au ! tu frappas trop fort en ta fureur cruelle.
Tu l'entends, tu le vois ! la Souffrance a vaincu.
Dans un sommeil sans fin, ô puissance éternelle !
Laisse-nous oublier que nous avons vécu.
L'Enfer de Guillaume Apollinaire
Un homme a traversé le désert sans rien boire
Et parvient une nuit sur les bords de la mer
Il a plus soif encore à voir le flot amer
Cet homme est mon désir, la mer est ta victoire.
Tout habillé de bleu quand il a l'âme noire
Au pied d'une potence un beau masque prend l'air
Comme si de l'amour - ce pendu jaune et vert-
Je voulais que brûlât l'horrible main de gloire.
Le pendu, le beau masque et cet homme altéré
Descendent dans l'enfer que je creuse moi-même
Et l'enfer c'est toujours : Je voudrais qu'elle m'aime.
Et n'aurais-je jamais une chose à mon gré
Sinon l'amour, du moins une mort aussi belle.
Dis-moi, le savais-tu, que mon âme est mortelle ?
Nous dormirons ensemble de Louis Aragon
Que
ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble
C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon cœur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble.
Vers à danser de Louis Aragon
Que
ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble
C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon coeur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble
Elsa de Louis Aragon
Tandis
que je parlais le langage des vers
Elle s'est doucement tendrement endormie
Comme une maison d'ombre au creux de notre vie
Une lampe baissée au coeur des myrtes verts
Sa joue a retrouvé le printemps du repos
O corps sans poids pose dans un songe de toile
Ciel formé de ses yeux à l'heure des étoiles
Un jeune sang l'habite au couvert de sa peau
La voila qui reprend le versant de ses fables
Dieu sait obéissant à quels lointains signaux
Et c'est toujours le bal la neige les traîneaux
Elle a rejoint la nuit dans ses bras adorables
Je vois sa main bouger Sa bouche Et je me dis
Qu'elle reste pareille aux marches du silence
Qui m'échappe pourtant de toute son enfance
Dans ce pays secret à mes pas interdit
Je te supplie amour au nom de nous ensemble
De ma suppliciante et folle jalousie
Ne t'en va pas trop loin sur la pente choisie
Je suis auprès de toi comme un saule qui tremble
J'ai peur éperdument du sommeil de tes yeux
Je me ronge le coeur de ce coeur que j'écoute
Amour arrête-toi dans ton rêve et ta route
Rends-moi ta conscience et mon mal merveilleux
Est-ce ainsi que les hommes vivent de Louis Aragon
Tout
est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.
Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.
C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.
Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Correspondances de Charles Baudelaire
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens
Sed non satiata de Charles Baudelaire
Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum mélangé de musc et de havane,
Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,
Je préfère au constance, à l'opium, au nuits,
L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.
Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
Ô démon sans pitié ! Verse-moi moins de flamme ;
Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,
Hélas ! Et je ne puis, mégère libertine,
Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine !
L'Idéal de Charles Baudelaire
Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.
Je laisse à Gavarni, poète des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.
Ce qu'il faut à ce cœur profond comme un abîme,
C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans ;
Ou bien toi, grande nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans !
Châtiment de l'orgueil de Charles Baudelaire
En ces temps merveilleux où la théologie
Fleurit avec le plus de sève et d'énergie,
On raconte qu'un jour un docteur des plus grands,
Après avoir forcé les cœurs indifférents ;
Les avoir remués dans leurs profondeurs noires ;
- Après avoir franchi vers les célestes gloires
Des chemins singuliers à lui-même inconnus,
Où les purs esprits seuls peut-être étaient venus, -
- Comme un homme monté trop haut, pris de panique,
S'écria, transporté d'un orgueil satanique :
Jésus, petit Jésus ! Je t'ai poussé bien haut !
Mais, si j'avais voulu t'attaquer au défaut
De l'armure, ta honte égalerait ta gloire,
Et tu ne serais plus qu'un fœtus dérisoire !
Immédiatement sa raison s'en alla.
L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila ;
Tout le chaos roula dans cette intelligence,
Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence,
Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.
Le silence et la nuit s'installèrent en lui,
Comme dans un caveau dont la clef est perdue.
Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue,
Et, quand il s'en allait sans rien voir, à travers
Les champs, sans distinguer les étés des hivers,
Sale inutile et laid comme une chose usée,
Il faisait des enfants la joie et la risée.
Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne de Charles Baudelaire
Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne,
Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,
Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement accumuler les lieues
Qui séparent mes bras des immensités bleues.
Je m'avance à l'attaque, et je grimpe aux assauts,
Comme après un cadavre un choeur de vermisseaux,
Et je chéris, ô bête implacable et cruelle !
Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle !
Bénédiction de Charles Baudelaire
Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le poète apparaît dans ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :
- Ah ! Que n'ai-je mis bas tout un nœud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision !
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation !
Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,
Je ferai rejaillir la haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés !
Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
Elle-même prépare au fond de la Géhenne
Les bûchers consacrés aux crimes maternels.
Pourtant, sous la tutelle invisible d'un ange,
L'enfant déshérité s'enivre de soleil,
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.
Il joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s'enivre en chantant du chemin de la croix ;
Et l'esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité,
Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur férocité.
Dans le pain et le vin destinés à sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats ;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.
Sa femme va criant sur les places publiques :
Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,
Je ferai le métier des idoles antiques,
Et comme elles je veux me faire redorer ;
Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe,
De génuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un cœur qui m'admire
Usurper en riant les hommages divins !
Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frêle et forte main ;
Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,
Sauront jusqu'à son cœur se frayer un chemin.
Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'arracherai ce cœur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bête favorite,
Je le lui jetterai par terre avec dédain !
Vers le ciel, où son œil voit un trône splendide,
Le poète serein lève ses bras pieux,
Et les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobent l'aspect des peuples furieux :
- Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aux saintes voluptés !
Je sais que vous gardez une place au poète
Dans les rangs bienheureux des saintes légions,
Et que vous l'invitez à l'éternelle fête
Des trônes, des vertus, des dominations.
Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique
Imposer tous les temps et tous les univers.
Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,
Les métaux inconnus, les perles de la mer,
Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
À ce beau diadème éblouissant et clair ;
Car il ne sera fait que de pure lumière,
Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs !
Puisqu'il le faut de Eugène Emile Paul Grindel, dit Paul Eluard
Dans le lit plein ton corps se simplifie
Sexe liquide univers de liqueur
Liant des flots qui sont autant de corps
Entiers complets de la nuque aux talons
Grappe sans peau grappe-mère en travail
Grappe servile et luisante de sang
Entre les seins les cuisses et les fesses
Régentant l'ombre et creusant la chaleur
Lèvre étendue à l'horizon du lit
Sans une éponge pour happer la nuit
Et sans sommeil pour imiter la mort.
Frapper la femme monstre de sagesse
Captiver l'homme à force de patience
Doucer la femme pour éteindre l'homme
Tout contrefaire afin de tout réduire
Autant rêver d'être seul et aveugle.
Je n'ai de cœur qu'en mon front douloureux.
L'après-midi nous attendions l'orage
Il éclatait lorsque la nuit tombait
Et les abeilles saccageaient la ruche
Puis de nos mains tremblantes maladroites
Nous allumions par habitude un feu
La nuit tournait autour de sa prunelle
Et nous disions je t'aime pour y voir.
Le temps comblé la langue au tiers parfum
Se retenait au bord de chaque bouche
Comme un mourant au bord de son salut
Jouer jouir n'était plus enlacés
Du sol montait un corps bien terre à terre
L'ordre gagnait et le désir pesait
Branche maîtresse n'aimait plus le vent
Par la faute d'un corps sourd
Par la faute d'un corps mort
D'un corps injuste et dément.
Ma morte vivante de Eugène Emile Paul Grindel, dit Paul Eluard
Dans mon chagrin, rien n'est en mouvement
J'attends, personne ne viendra
Ni de jour, ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même
Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance, ils perdent leur lumière
Ma bouche s'est séparée de ta bouche
Ma bouche s'est séparée du plaisir
Et du sens de l'amour, et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n'avanceront plus, il n'y a plus de route
Ils ne connaîtront plus mon poids, ni le repos
Il m'est donné de voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir
Que j'ai crue infinie
Et l'avenir mon seul espoir c'est mon tombeau
Pareil au tien, cerné d'un monde indifférent
J'étais si près de toi que j'ai froid près des autres.
La mort, l'amour la vie de Eugène Emile Paul Grindel, dit Paul Eluard
J'ai cru pouvoir briser la profondeur de l'immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m'a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cour au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu'il n'y ait rien ni vitre ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J'avais éliminé le glaçon des mains jointes
J'avais éliminé l'hivernale ossature
Du vou qui s'annule
Tu es venue le feu s'est alors ranimé
L'ombre a cédé le froid d'en bas s'est étoilé
Et la terre s'est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J'avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J'avançais je gagnais de l'espace et du temps
J'allais vers toi j'allais sans fin vers la lumière
La vie avait un corps l'espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l'aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j'adorais l'amour comme à mes premiers jours.
Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une houle énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n'est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits pour s'entendre
Pour se comprendre pour s'aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.
Je te l’ai dit pour les nuages de Eugène Emile Paul Grindel, dit Paul Eluard
Je te l’ai dit pour les nuages
Je te l’ai dit pour l'arbre de la mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l’œil qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l’ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent.
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